Correspondance du Maréchal Davout
A
l'Empereur et Roi.
Wittenberg, 20 octobre 1806
Sire, les intentions de Votre Majesté
sont remplies' : l'avant-garde du 31 corps a passé l'Elbe, le 20, à neuf heures
du matin; tout le corps d'armée était sur la rive droite avant trois heures\
après midi - j'ai adressé, à cette époque, l'adjudant commandant Beaupré au
prince de Neufchatel, pour lui donner connaissance de cet événement. Les
Prussiens, à notre approche, ont mis le feu au pont et se sont sauvés sans
s'opposer aux secours prompts qui ont été apportés et ont eu le meilleur
résultat en sauvant le pont, qui est de la plus grande solidité.
Les reconnaissances ont rencontré sur la
route de Berlin, à une lieue et demie d'ici, deux régiments d'infanterie et
quelques escadrons de cavalerie qui se portaient sur Wittenberg pour défendre
le passage de l'Elbe. Se voyant prévenus, ils se sont retirés. J'ai envoyé un
parti pour communiquer avec le maréchal Lannes, je n'en ai pas encore de
nouvelles. Les Prussiens ont brûlé toutes les barques entre Wittenberg et le
pont de Dessau. 50 chasseurs du ler régiment que j'ai envoyés en reconnaissance
sur Torgau se sont emparés du pont, que les Saxons n'ont pas défendu, disant
qu'ils étaient en paix avec nous. Ce pont est dans le meilleur état. Il existe
à Wittenberg un magasin contenant plus de 140 milliers de poudre en bon état.
On en a les clefs.
Les fortifications qui étaient autour de
Wittenberg sont en grande partie détruites : il faudrait beaucoup de travaux
pour mettre cette place à l'abri d'un coup de main. En conséquence de vos
ordres, Sire, on a tracé et l'on travaillera tout de suite à une tête de pont.
Il serait à désirer qu'on envoyât quelques compagnies de sapeurs et des fonds
pour cet objet. Je réclamerai aussi quelques officiers du génie, presque tous
ceux du 3" corps ayant été blessés à l'affaire du 14. Il y a dans tous les
villages beaucoup de déserteurs prussiens et de traînards.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Wittenberg, 21 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à
Votre Altesse quatre lettres du prince de Wurtenberg à l'officier prussien qui
commandait les troupes à Wittenberg. Ces lettres, qui ont été interceptées, prouvent
que l'armée prussienne ne songe pas à couvrir Berlin, et que sa retraite est
ordonnée sur l'Oder.
J'ai fait prendre au 3e corps les
positions suivantes :
La 1re
division est placée en avant de Wittenberg, maîtrisant les routes de Potsdam et
de Belzig; elle a en avant d'elle un parti de 100 chevaux pour éclairer ces
deux routes.
La 2e
division a sa brigade de droite sur la route de Torgau, maîtrisant celles de
Jessen et de Zahna; cette brigade est couverte par le 2e régiment de chasseurs
à cheval. La 2 brigade est sur la route de Koswich.
La 3e
division est en réserve au village de Plata, sur la rive gauche de l'Elbe. Je
me fais éclairer par ma cavalerie sur le triangle qui se trouve vers Dessau,
entre la Mulda et l'Elbe. J'ai ordonné au général Vialannes de pousser une
forte reconnaissance sur Potsdam.
En attendant les ordres de Votre Altesse,
le corps d'armée prend ici quelques instants de repos dont il avait besoin pour
rallier les hommes, que des marches longues dans un pays sablonneux avaient
forcés de rester en arrière. Il m'a été rendu compte qu'il existe sur l'Elbe
des magasins considérables, notamment à Wittenberg et à Koswich. J'ai ordonné
qu'on en prît possession et qu'on en fît constater l'état.
Le général Hanicque a reconnu à un quart
de lieue de cette ville un magasin à poudre. D'après son rapport, il existe 300
milliers de poudre de bonne qualité et bien conservée. L'équipage de pont a été
arrêté par les sables ; il ne pourra guère arriver à Wittenberg que sous
quelques heures. Je fais réunir tous les mariniers et pilotes du pays pour lui
faire descendre l'Elbe jusqu'au point qu'il plaira à Votre Altesse de désigner.
On fera suivre par terre les chevaux et les haquets.
J'ai l'honneur d'adresser à Votre Altesse
le compte que m'a rendu le colonel du génie Touzard, sur l'état de la place de
Wittenberg. J'ai ordonné à cet officier supérieur de faire tracer sur-le-champ,
aux deux rives de l'Elbe, les ouvrages nécessaires pour mettre le pont de
l'Elbe à l'abri d'un coup de main. Je l'ai autorisé à faire aux autorités du
pays toutes demandes de pionniers, ouvriers et matériaux qui seront
nécessaires.
Je prie Votre Altesse de considérer qu'à
la bataille du 14-, quatre officiers du génie du corps d'armée ont été mis hors
de combat, et que la compagnie de sapeurs a tellement souffert à cette même
bataille, qu'il n'y reste que 36 hommes disponibles, parmi lesquels il ne se
trouve aucun ouvrier d'art. Je prie Votre Altesse d'envoyer à ce corps d'armée
des officiers du génie, ainsi que des compagnies de mineurs et de sapeurs pour
pouvoir suivre ces travaux. Une
reconnaissance du 12e régiment de chasseurs à cheval envoyée sur Roslau, y est
arrivée pendant la nuit et a trouvé les troupes de la division Suchet passant
l'Elbe sur des nacelles.
une autre reconnaissance du 1er régiment de
chasseurs à cheval s'est emparée du pont de Torgau et en a confié la garde aux
troupes saxonnes, avec la condition expresse d'en défendre le passage aux
troupes prussiennes.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Wittenberg, 22 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à
Votre Altesse un rapport du capitaine de chasseurs chargé de la reconnaissance
de Torgau, ainsi qu'un état des denrées et munitions qui existent dans cette
place.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Lukenvalde, 23 octobre.
Monseigneur, j'ai reçu en marche de Zahna
à Lukenvalde la lettre que Votre Altesse me fait l'honneur de m'écrire pour
renvoyer au dépôt de Wittenberg les hommes écloppés qui pourraient se trouver
dans le corps d'armée. J'ai l'honneur de faire observer à Votre Altesse que
cette mesure devient déjà presque inexécutable pour ce corps, qui va être
aujourd'hui à deux grandes marches de Wittenberg, et que d'ailleurs il s'y
trouve peu d'hommes qui seraient susceptibles d'être renvoyés sur les
derrières. Tout le monde peut suivre.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Lukenvalde, 23 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre compte
à Votre Altesse que le corps d'armée ayant fait hier une marche plus forte que
je ne le présumais, il prendra position aujourd'hui entre Trebin, où sera la
1re division, et Veittersdorff; de sorte que demain 24, vers les deux heures
après midi, le corps d'armée sera rendu devant Berlin. Si je ne reçois point
d'ordres contraires, l'armée sera en marche à cinq heures du matin. J'attends
le général Hulin pour le mettre en possession du commandement de cette place.
Cette nuit, j'enverrai quelques partis pour cerner Berlin ; l'adjudant
commandant Romeuf y sera envoyé pour y assurer la subsistance des troupes.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Lukenvalde, 23 octobre 1806.
Monseigneur, je m'empresse de rendre
compte à Votre Altesse que le général Vialannes, commandant ma cavalerie
légère, avait poussé une reconnaissance jusque sur Potsdam; il y serait entré
s'il n'avait reçu auparavant les ordres que je lui ai fait expédier, pour me
rejoindre à Lukenvalde. Il arrive à l'instant, et il confirme le rapport qu'il
n'existe aucune troupe ennemie ni à Potsdam, ni à Berlin; que tout s'est retiré
par Magdebourg et derrière l'Oder.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Aux faubourgs de Berlin, 24 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre
compte à Votre Altesse que le 3e corps est arrivé sous Berlin ; j'y avais
envoyé à l'avance l'adjudant commandant Romeuf avec des officiers supérieurs
d'artillerie et du génie et un commissaire des guerres désigné par l'intendant
général pour prendre possession des arsenaux et magasins militaires et faire
préparer des subsistances.
L'adjudant commandant Romeuf m'a rendu
compte qu'aussitôt après son arrivée, un escadron du 9e régiment de hussards
faisant partie du 5e corps et quelques officiers de M. le maréchal Lannes
étaient entrés dans la place, annonçant le 5e corps. J'ai écrit aussitôt au
maréchal Lannes la lettre dont j'ai l'honneur d'adresser copie à Votre Altesse
'.
Le général Hulin est arrivé; je lui ai
fait donner un détachement de cavalerie légère pour qu'il puisse placer les
postes essentiels; il est en possession de son commandement. Demain,
conformément aux ordres de Votre Altesse, le 3e corps fera son entrée à Berlin
et sera reçu par les magistrats et notables, etc., et de là il ira prendre
position à une lieue en avant de la ville. Je laisserai à Berlin, à la
disposition du général Hulin, le 108e régiment, qui a beaucoup souffert et qui
a perdu ses chefs à la bataille du 14.
Toutes les dispositions renfermées dans
la lettre du 23 de Votre Altesse seront exactement exécutées. J'établirai ce
soir mon quartier général à Schönberg.
A
M. Le Maréchal Lannes Commandant le 5e Corps d’Armée.
Des faubourgs de Berlin, 24 octobre 1806.
L'adjudant commandant Romeuf, que j'avais
envoyé, Monsieur le Maréchal, cette nuit à Berlin, me rend compte qu'un
escadron du 9' régiment de hussards, faisant partie de votre corps d'armée, est
entré ce matin dans cette place. Cependant Son Altesse le prince de Neufchâtel
m'a fait connaître que l'intention de l'Empereur était que le 3e corps devait y
entrer le premier, et qu'il ne devait le faire que demain 25. J'ai lieu de
croire, à l'arrivée de cet escadron du 9e de hussards et de quelques-uns de vos
officiers, que des dispositions ultérieures et contraires ont eu lieu; dans ce
cas, je vous aurais obligation de me les faire connaître, pour que je m'y
conforme; mais si rien n'était changé aux ordres qui m'ont été prescrits, j'ai
l'honneur de vous prier, Monsieur le Maréchal, de donner vos ordres pour que
qui que ce soit de votre corps d'armée n'entre dans Berlin avant qu'il y soit
autorisé par Son Altesse le prince de Neufchâtel : j'ai donné les miens en
conséquence '.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Schonberg, 25 octobre 1806.
Monseigneur, l'officier de correspondance
que Sa Majesté m'a envoyé avec l'ordre de porter la division de dragons sur
Oranienbourg, n'est arrivé qu'à sept heures du matin; cet ordre va recevoir son
exécution, ainsi que tout ce que me prescrit Sa Majesté '.
J'ai fait arrêter à la poste toutes les
lettres; j'ai observé que la plupart étaient adressées à Magdebourg, où l'on
croit encore ici que sont les forces prussiennes; je les adresse à Votre
Altesse : il m'en est tombé une française sous la main que je joins ici, parce
que la personne qui l'écrit et qui paraît instruite, assure que l'armée du
prince de Hohenlohe se rassemble près de Brandebourg.
J'y joins également une lettre d'une
personne française qui reste ici et qu'il serait important de découvrir pour
avoir des renseignements. Enfin, j'y joins aussi un extrait des dernières
gazettes de Berlin, qu'il sera peut-être utile de mettre sous les yeux de Sa
Majesté parce qu'elles prouvent que, malgré l'assertion de M. Lucchesini, lord
Morpeth n'est parti qu'après la bataille du 14; ces gazettes peuvent aussi
faire connaître l'esprit qui a dicté les derniers manifestes de la Prusse.
J'envoie à Votre Altesse un rapport que
j'ai reçu du colonel Charbonnel sur ce qu'il a déjà découvert concernant sa partie
à Berlin. L'armée traversera la ville vers midi pour aller prendre position en
arrière du petit ruisseau qui se jette dans la Sprée au-dessous de Copnick. Mon
quartier général sera à Frederickfels.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Frederickfels, 25 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai l'honneur de rendre
compte à Votre Altesse que, par tous les renseignements que j'ai su me
procurer, je suis instruit qu'il n'existe que très-peu de troupes à Francfort, et
que le pont n'est pas encore coupé ; j'ai en conséquence donné au général
Vialannes, commandant la cavalerie légère, l'ordre de surprendre cette ville.
J'ai également l'honneur d'adresser à
Votre Altesse un rapport de voyageurs allant à Hambourg et qui ont été obligés
de rétrograder.
Tous les partis que j'ai
envoyés sur la Sprée ne m'ont encore donné aucune nouvelle : et comme ils ont
ordre de pousser jusqu'à ce qu'ils rencontrent l'ennemi, je présume qu'ils ont
une longue course à faire. Suivant les ordres de l'Empereur qui m'avait prévenu
qu'il était possible que Spandau fît quelque résistance, j'ai envoyé sur ce
point un adjoint à l'état-major qui m'a fait le rapport que cette place avait
capitulé '.