Correspondance du Maréchal Davout
Au
Général Friant
Paris,
15 Septembre 1806
J'arrive de
Saint-Cloud, mon cher Général ; Sa Majesté m'a accueilli avec sa bonté
ordinaire. Elle m'a parlé de partir sous peu de jours pour vous rejoindre.
Cette nouvelle est pour vous seul et mon chef d'état-major. Tout est à la
guerre ici; une partie de la garde est partie ce matin. Cependant beaucoup de
personnes croient que ces préparatifs n'auront aucun autre résultat que de
déterminer la paix, et par conséquent de rendre ridicule l'armement des
Prussiens. Mais dans tous les cas, nous sommes en mesure; ma dernière
inspection des troupes m'a donné cette conviction. Il y a un article bien
important cependant dont nous manquons totalement, c'est celui des marmites,
bidons, etc. Je me suis assuré ici que l'on n'avait aucun moyen de nous en
faire délivrer. Il ne faut donc compter que sur nous. Aussi je vous invite à la
réception de ma lettre à prévenir les 'généraux de division de recommander aux
colonels de s'assurer que dans le cas d'un ordre de départ, chaque capitaine se
procurera de gré à gré des habitants de ces marmites faites en tôle battue dont
on fait usage en Allemagne. Cet objet n'est point très-coûteux et donnera au
soldat la facilité de faire sa soupe. Il faut que chaque compagnie s'en procure
de manière à en avoir un ou deux de plus. Il vaut mieux à cet égard être riche,
puisqu'il ne s'en perd que trop. Cet ordre devra être promptement exécuté et
est pour toutes les armes du 3e corps.
Il est
probable que lorsque vous recevrez cette lettre, je serai en route pour vous
rejoindre.
Votre femme se
porte bien et est depuis quelques jours à Pontoise, où elle a été chercher sa
mère. Ma femme a été sur prise de mon arrivée. Elle fait mille amitiés à son
excellent beau-frère. Je pars à l'instant pour Savigny y faire la connaissance
de ma petite.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Bamberg,
1er octobre 1806.
Monseigneur,
je viens d'arriver à Bamberg pour me concerter avec le prince de Ponte-Corvo,
qui m'a communiqué les ordres de Votre Altesse Sérénissime le 29, me faisant
connaître que l'intention de l'Empereur est que je détache ma cavalerie sur
Cronach, que je fasse occuper cette place et que je cherche sur-le-champ à la
faire mettre en bon état, et enfin que le maréchal Bernadotte me fera connaitre
les ordres que vous avez donnés sur cet objet : la différence de date et le
mouvement que fait le prince de Ponte-Corvo devraient me faire supposer qu'il y
a de nouvelles dispositions dont je n'ai point connaissance. Quoi qu'il en
soit, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous en rendre compte ce matin, ma
cavalerie n'étant arrivée près de Forcheim que ce soir, je ne puis la porter
demain qu'entre Bamberg et Staffelstein; j'aurai donc le temps de recevoir les
ordres de Votre Altesse sur les mouvements ultérieurs de cette cavalerie;
cependant je dirigerai toujours le 78 de hussards sur Cronach, conformément aux
premiers ordres de Votre Altesse Sérénissime.
La première
division est arrivée et est établie entre Bamberg et Forcheim, sa tête à une
lieue de cette première ville, où demain elle appuiera sa gauche, sa droite se
prolongeant du côté de Staffelstein; demain 2, tout le reste du 3e corps sera entre Bamberg et Forcheim, Votre Altesse
Sérénissime peut compter là-dessus.
J'ai envoyé un
chef de bataillon à Cronach, à la réception de votre lettre du 27.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Bamberg,
2 octobre 1806.
Monseigneur,
j'ai l'honneur de rendre compte à Votre Altesse des diverses positions occupées
aujourd'hui par le 30 corps d'armée.
La 1er division est établie en colonne entre Staffelstein
exclusivement et Hallstadt; Bamberg sera occupé par un régiment de cette
division.
La 2e division placée également en colonne entre Bamberg
et Hirscheid inclusivement.
La 3e division dans le même ordre entre Hirscheid et
Forcheim. La réserve de cavalerie légère entre Schesliz, Hallstadt et Bamberg.
Le matériel du
parc de réserve près Forcheim, et le personnel ainsi que les chevaux cantonnés
dans les villages situés à la rive gauche de la Wisen.
J'ai l'honneur
de rappeler à Votre Altesse que l'objet de ma lettre d'hier était de savoir si
son intention était toujours que j'envoie ma cavalerie légère à Cronach; je
désire ardemment recevoir les derniers ordres de Votre Altesse pour me tirer
d'embarras à cet égard.
P. S. - Le 7e de hussards continue son mouvement sur Cronach,
conformément aux premiers ordres de Votre Altesse.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Bamberg,
5 octobre 1806.
Monseigneur, j'ai
l'honneur d'assurer à Votre Altesse que le 30 corps d'armée est cantonné de
manière à pouvoir être réuni à Bamberg dans cinq heures et en mesure de se
mettre en marche au premier ordre que Votre Altesse pourrait me faire passer.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Bamberg,
5 octobre 1806.
Monseigneur,
j'ai l'honneur de rendre compte à Votre Altesse du résultat de la revue du
corps d'armée que j'ai passée, en vertu de l'ordre du jour du 3 octobre.
En général, toutes
les troupes ont mis à profit les moments de repos, pour se préparer à entrer en
campagne, et je dois ajouter que la sollicitude des généraux et des officiers a
eu les meilleurs résultats.
L'armement est
partout dans un très-bon état. Sur tout le corps d'armée il ne manquait pas au
delà de quinze à vingt baïonnettes, qui ont été remplacées peu d'heures après.
L'habillement
a été reçu et délivré par tous les régiments; les troupes sont dans la tenue où
elles eussent été, si elles avaient passé la revue de Sa Majesté l'Empereur à
Paris.
La chaussure
remplit les intentions de Sa Majesté; chaque soldat a deux paires de souliers
dans le sac et une aux pieds; quelques régiments en ont même une quatrième
paire de réserve qu'ils font suivre; quelques-uns davantage; tous quelques
paires de rechange.
Quant aux
ustensiles de campement, cet objet avait été entièrement oublié; mais depuis la
marche, on s'en est essentiellement occupé ; toute la 1er division peut être considérée comme ayant ce qui lui
est nécessaire.
La 2e est bien moins fournie, mais sous vingt-quatre
heures elle sera au niveau. La 30 est la plus arriérée; cependant il n'y a que
ce reproche à lui faire, car sa tenue est excellente.
Il ne manque
rien à l'artillerie; les troupes sont pourvues de 50 cartouches par homme et de
3 pierres à feu.
Indépendamment
de l'approvisionnement de 1,200,000 cartouches contenues dans les caissons, il
en restera 200,000 provenant du dernier envoi de 300,000 que j'avais demandées
pour compléter les 50 par homme. Je ferai déposer à Cronach les 200,000
restantes, attendu que je n'ai aucun moyen de transport pour les faire suivre,
et que ce serait les exposer à être entièrement avariées que de les faire
transporter sur des voitures du pays.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
6
octobre 1806,
Monseigneur,
les rapports sur les Prussiens sont encore très-obscurs; il en résulte
seulement qu'ils sont en marche et en grand mouvement.
Hier 7, tout
me porte à croire qu'il en est arrivé vers les quatre heures du soir à Cobourg,
d'où ils ne laissent sortir ni entrer personne. Jusqu'à ce moment, il n'avait
paru à Cobourg que 30 ou 36 hussards qui y étaient depuis cinq jours.
On y assurait
que partie de l'armée prussienne avait dû arriver le même jour à Saalfeld et
avait poussé une avantgarde à Grafenthal.
Suivant les
rapports, les grandes forces prussiennes devaient se réunir sur Iéna et
Saalfeld.
A Cobourg, ils
faisaient courir que le roi de Prusse devait se rendre aujourd'hui à Bamberg,
pour avoir une conférence avec notre souverain.
J'ai envoyé un
parti à Culenbach, pour avoir des nouvelles du maréchal Soult : il n'est pas
encore de retour.
Toute l'armée
sera réunie aujourd'hui, de très-bonne heure, en avant de Cronach, conformément
aux ordres de Votre Altesse.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Posneck,
11 octobre 1806, à deux heures du matin.
Monseigneur,
ainsi que j'ai eu l'honneur de vous en rendre compte verbalement par l'un de
mes aides de camp, j'ai été obligé de faire arrêter la tête de la colonne
d'infanterie à Posneck, tant pour attendre des nouvelles de la cavalerie du
général Milhaud que j'avais fait porter en avant, que pour donner le temps à
l'infanterie de se rallier, la marche, aussi longue que rapide, ayant extrêmement
allongé ses colonnes.
Après les
premiers rapports du général Milhaud, j'ai fait porter un premier régiment en
avant de Posneck, à l'embranchement des routes de Neustadt et de Hummelsham.;
le reste de la division Dupont et la division Morand seront rendus ici à la
pointe du jour.
Des partis de
cavalerie ont été envoyés sur Neustadt et Saalfeld.
Une
reconnaissance du 13e régiment de chasseurs à cheval, dirigée par Saalfeld, a
poussé sur sa droite un petit détachement qui est tombé sur un poste d'infanterie
et de cavalerie prussienne, et a enlevé un hussard de Wolfrad et deux fusiliers
du 1er bataillon de chasseurs prussien.
Ces
prisonniers rapportent qu'il y avait à l'affaire de Saalfeld donnée par les
Français 7 bataillons saxons et 2 escadrons prussiens; le prince Louis
commandait en personne, ces troupes venaient de Neustadt - ils ne savent rien
de la grande armée, si ce n'est qu'on débite qu'elle marche en avant.
Il arrive en
ce moment trois prisonniers du régiment de Schimmelfening hussards ramassés par
nos reconnaissances; d'après ce qu'ils disent et ce que l'on débite, il paraît
que le maréchal Lannes a complétement battu l'ennemi.
Je reçois la
dépêche de Votre Altesse, datée de huit heures et demie. Je vais me mettre en
marche pour rejoindre de ma personne le 3e
corps; je transmets au général Dupont et au général Milhaud les ordres qui les
concernent pour leur marche de demain.
Je fais partir
pour le maréchal Lannes la dépêche de Votre Altesse à son adresse.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Naumbourg,
12 octobre 1806.
Monseigneur,
j'ai l'honneur de rendre compte à Votre Altesse que ma cavalerie légère est
entrée à Naumbourg à trois heures et demie; l'avant-garde y est arrivée à huit
heures du soir'. La journée ayant été extrêmement forte et ayant occasionné
beaucoup de traîneurs, j'ai fait arrêter la ire division à une lieue ou deux de
Naumbourg, la 2e un peu plus loin et la 3e à environ trois lieues.
La division de
dragons du général Sahuc a été placée à hauteur de la 2e division; demain à deux heures du matin toute
l'armée sera réunie ici.
Le général
Vialannes s'est emparé de plusieurs voitures de pain et de bagages, mais une
prise plus importante est celle de douze pontons en cuivre parfaitement
attelés; cette dernière prise a été faite entre Naumbourg et Freybourg; je les
fais conserver, ainsi que les attelages, pour les tenir à votre disposition,
ayant promis au 1er régiment de chasseurs de faire payer les chevaux
conformément aux règlements. «
On annonce ici
de grands magasins de fourrage et de grains; j'en ferai faire l'inventaire, que
j'aurai l'honneur d'adresser à Votre Altesse.
Des
reconnaissances ont été envoyées du côté d'Iéna, mais elles ne sont point
encore rentrées. On entend quelques coups de canon de ce côté; je n'ai point
encore de nouvelles du prince de Ponte-Corvo.
Tous les
rapports des déserteurs, des prisonniers et des gens du pays se réunissent à
annoncer que l'armée prussienne se trouve à Erfurt, Weimar et environs. Il est
certain que le Roi est arrivé hier à Weimar; on assure qu'il n'y a point de
troupes entre Leipzig et Naumbourg.
J'ai fait
saisir à la poste tous les paquets; je les adresse à Votre Altesse; peut-être y
trouvera-t-elle quelque chose d'intéressant. On annonce toujours beaucoup de
jactance chez les officiers prussiens.
Une lettre
sans signature, adressée au prince de Saxe-Cobourg, compare la défaite de
Saalfeld à celle des Autrichiens devant Ulm, pour le découragement qu'elle a
répandu dans l'armée. Il a passé hier et aujourd'hui par cette ville environ
200 déserteurs.
J'envoie un
parti porter cette dépêche à Votre Altesse; demain matin, dès que j'aurai
obtenu de nouveaux renseignements, j'aurai l'honneur de les adresser à Votre
Altesse.
P. S. - Il me
paraît constant que les troupes prussiennes se réunissent du côté de Weimar.
Cette campagne promet d'être encore plus miraculeuse que celles d'Ulm et de
Marengo.
Au
Major Général de la grande armée Prince de Neufchatel,
Naumbourg,
13 octobre 1806.
Monseigneur,
j'ai l'honneur de rendre compte à Votre Altesse que dès hier ma cavalerie
légère poussa des reconnaissances sur Iéna; après avoir passé le pont, elles
rencontrèrent l'ennemi à peu de distance, sur la rive gauche de la Saale.
La division de
dragons aux ordres du général Sahuc poussa également des partis sur ce point et
rencontra aussi l'ennemi.
La première de
ces reconnaissances a eu lieu hier, à six heures du soir; la seconde à neuf du
soir; aujourd'hui, une nouvelle reconnaissance faite à dix heures du matin
prouverait que l'ennemi occupe toujours Iéna et qu'il rallie ses forces à
Eckartsberg. Je vous envoie la copie de cette reconnaissance; les rapports la
confirment. On a entendu le canon hier soir depuis quatre heures jusqu'à cinq
et demie. Aujourd'hui, on l'entend; il va assez fort sur notre gauche depuis
une heure après midi : il y a de la fusillade.
J'envoie des
partis sur Eckartsberg par Freybourg, que j'occupe en force, et par Kosen.
Toute l'armée
est à Naumbourg. La division de dragons occupe Pforté et Flemmingen.
A
l’Empereur et Roi.
Au
bivouac d'Eckartsberg, 14 octobre 1806.
Sire, j'ai
l'honneur de rendre compte à Votre Majesté qu'en débouchant de Kosen, j'ai
trouvé à un quart de lieue l'ennemi qui était en marche pour s'emparer lui-même
de ce débouché. La bataille s'est engagée tout de suite; elle a été
très-sanglante et disputée. Le roi de Prusse, le due de Brunswick et le
maréchal de Mollendorf et plus de 60,000 hommes ont disputé la victoire à votre
3e corps; elle nous est restée, ainsi que presque toute
l'artillerie ennemie: le nombre des prisonniers n'est pas très-considérable, le
peu de cavalerie que j'avais, qui a fort bien servi du reste, n'ayant pas été
suffisant pour pouvoir profiter des succès de l'infanterie. Le grand-duc de
Berg avait retiré la veille la division des dragons Saline.
Votre Majesté
a perdu beaucoup de braves, parmi lesquels je citerai le général Debilly, les
colonels Verges, Higonnet, Viala, Nicolas et plusieurs autres blessés.
Plusieurs régiments ont perdu la plupart de leurs officiers. Le nombre des
blessés est très-considérable.
Le duc de
Brunswick a été grièvement blessé à la tête; on regarde sa blessure comme
mortelle.
Des généraux
prussiens ont été blessés. Parmi ces derniers, on compte le prince Auguste,
oncle du Roi.
Les deux
frères du Roi se trouvaient à cette bataille; les gardes à cheval et à pied ont
beaucoup de morts et de blessés.
Les cartouches
manquent. Les corps étant très-affaiblis, j'ai pris position vers les sept
heures du soir. Cette nuit, on remplacera les cartouches, on mettra les armes
en état, et demain nous serons prêts à exécuter les ordres de Votre Majesté.
Je dois citer
avec le plus grand éloge la conduite des généraux Friant, Gudin et Morand. Le
général Daultanne s'est fait distinguer de toute l'armée.
Ces jours-ci,
j'aurai l'honneur d'adresser à Votre Majesté les détails nécessaires pour lui
faire connaître la brillante conduite de tous ses officiers et soldats.
L'ennemi
paraît s'être retiré du côté de Weimar.