La division de Legrand resta à Ambleteuse jusqu’en mars 1805. Elle reçut alors l’ordre de se replier sur Boulogne pour laisser la place aux divisions du corps d’armée de Davout campées jusqu’alors à Ostende, au Camp de Bruges, trop loin des bases de départ de la grande expédition. Cette concentration semblait indiquer que le grand jour approchait. La 1ère division du corps d’armée de Davout composée du 13ème léger et des 17ème, 30ème, 51ème et 61ème de ligne, et commandée par le général Bisson, commença à quitter Ostende le 28 mars et acheva son mouvement vers le 4 avril. L’état-major et le reste du corps d armée ne devaient suivre que plus tard.
Ce n’est qu’en juillet que
Davout, avec son état-major, rallia la côte boulonnaise. Il doit assez
incessamment établir son quartier-général à Ambleteuse et occuper la maison du
ci-devant curé où est logé maintenant le général Bisson, nous apprend un
rapport du commissaire de police de Calais en date du 1er juillet. Une lettre
du même fonctionnaire, écrite le 3 juillet, précise : Monsieur le Maréchal
Davout est passé hier en cette ville de Dunkerque et en repartit presque de
suite pour se rendre au camp.
Le futur duc d’Auerstaedt et prince d’Eckmühl, avait 35 ans. Maréchal d’Empire depuis 1804, il était un des grands dignitaires du nouveau régime. Il touchait d’ailleurs de près à la famille impériale par sa femme Aimée Leclerc, sœur du premier mari de Pauline Bonaparte. Son chef d’état-major, le général Mathieu Dumas, était aussi un personnage important. Ancien aide de camp de Rochambeau et de La Fayette, ancien député à la Législative, il deviendra ministre de la Guerre du roi Joseph à Naples et à Madrid, et mourra pair de France en 1837.
Davout et son corps d’armée, appelé Corps de Droite, devait être le grand jour, transporté en Angleterre à bord des bateaux de la flottille batave dont la plupart se trouvaient encore à Ostende et à Dunkerque. Amener ces unités jusqu’à Ambleteuse sous le nez de la croisière anglaise était une opération pleine de risques surtout au passage du Gris-Nez où la profondeur permettait aux vaisseaux ennemis de serrer la côte de très près. Le 17 juillet 1805 à 7 heures du soir, 4 prames françaises et 33 canonnières bataves commandées par l’amiral hollandais Verhuell quittèrent le port de Dunkerque pour faire voile vers la Manche. Le convoi fut attaqué par une division anglaise à la hauteur de Gravelines, mais réussit, malgré des tués et des blessés et quelques bateaux endommagés, à poursuivre sa route jusqu à Calais où il mouilla.
Inquiet Davout rejoignit aussitôt Verhuell dans ce port et décida de faire avec lui la dernière partie du voyage qui s’annonçait dangereuse. Le convoi réduit à une vingtaine de bâtiments, appareilla le 18, à 4 heures de l’après-midi par un vent assez violent de nord-est et une mer houleuse. La croisière ennemie, forte de 45 voiles, attaqua devant le Blanc-Nez.
L’engagement fut tout de
suite très chaud. Mais passons la parole à un témoin, l’aide de camp Trobriand
qui, avec son camarade Bourke se trouvait aux côtés de Davout sur le bateau
amiral : « On se serait cru en enfer... Le vent, la mer, ces
satanés Anglais qui tiraient sur nous comme on tire sur une cible, tout à
l’envie faisait rage ! Bourke et moi, nous croyions notre dernier jour arrivé ;
cependant, en voyant Monsieur le Maréchal tranquille comme s’il eut été dans
son salon, nous tâchions de faire bonne contenance. L’amiral n’avait pas l’air
de bonne humeur, impassible, attentif à toute chose, il donnait des ordres ;
les matelots manœuvraient crânement, l’artillerie ripostait de son mieux, mais
nos barques ressemblaient à autant de petits pâtés prêts à tromper l’appétit de
Messieurs les Anglais. Bah ! Le maréchal y faisait bien attention ! Il lorgnait
de toutes ses forces et nous demandait sans cesse, depuis que la flottille
était parvenue à serrer la côte si nous ne voyions rien ? Arrivés à la hauteur
du cap Gris-Nez, je crus tout perdu… La profondeur de l’eau dans ces parages,
permettant aux gros vaisseaux anglais d’approcher, ils se prirent à tirer sur
nous en avançant toujours, mais là, à croire toutes les foudres de Jupiter à
leur service... et le maréchal souriait ! Je lui en voulais bien un peu de nous
avoir conduits là, quand tout à coup, au-dessus de nos têtes : Boum ! ...
Boum. !... Boum ! ... Boum ! ... Boum ! . C’était à devenir sourd, jamais
je n’ai entendu tel tapage ! C’était un des tours de l’Empereur. Dans la nuit,
il avait fait garnir les hauteurs de batteries infernales et il fallait voir la
surprise de Messieurs les Anglais qui se sauvaient à toutes voiles, et la figure
de l’Amiral Verhuell ! »
Le maréchal savait tout mais il avait gardé son secret ! A dater de ce jour, l’amiral et lui devinrent une paire d’amis…
Napoléon avait, en effet, fait disposer à la pointe du cap, 300 pièces d artillerie. Qu’on imagine ce que devaient être le bruit et le spectacle extraordinaires de tous ces canons tirant ensemble ! Le général Dumas qui était alors sur place au Gris-Nez, écrit que la flottille doubla le cap sous un berceau de feu. Dans ces conditions, on comprend que Davout n’ait jamais douté un instant d’amener à bon port les bateaux de Verhuell. Il était si sûr de son affaire qu’avant d embarquer, il avait recommandé à son chef d’état-major, de mobiliser toutes les musiques des régiments campés à Ambleteuse pour accueillir solennellement l’amiral et ses marins, avec l’air des petits bateaux et autres analogues ! Monsieur le Maréchal ne manquait pas d’humour ! Mais si les petits bateaux avaient eu cette fois, grâce à l’artillerie côtière, des jambes pour échapper aux Anglais, en auraient-ils encore, le grand jour, pour traverser la Manche sans encombres ? Les Anglais avaient été si bien étrillés le 18 juillet qu’ils disparurent de l’horizon pendant les jours qui suivirent. Une partie considérable de la flotte batave se hâta de profiter de ce répit pour gagner Ambleteuse. Au début d’août, il y avait dans ce port, 3 prames, 25 chaloupes canonnières, 116 bateaux canonniers, 6 péniches et 30 bâtiments de transport. Le corps d’armée de Davout avait de son côté presque achevé son mouvement de concentration. Seule, la 3ème division (Gudin), campée à Rosendaël près de Dunkerque, n’avait pas encore rejoint. |
En attendant l’hypothétique
embarquement, Davout coulait à Ambleteuse des jours sans histoires. Parfois la
monotonie des tâches quotidiennes se trouvait rompue par quelque événement
mineur comme, le 24 août, la visite de la princesse Louis Bonaparte, la future
reine Hortense qui regagnait Saint-Amand après un court séjour à
Pont-de-Briques près de !’Empereur. La princesse se rendit de Boulogne à
Ambleteuse par mer et écrivait quelques jours après à son frère Eugène : « En
arrivant dans le port d’Ambleteuse, le maréchal Davout, ainsi que l’amiral
batave, vinrent me prendre dans une chaloupe charmante. Je traversais toute la
flottille au son de la musique et des cris de Hourra ! Le maréchal Davout me
donna un fort beau déjeuner sous une tente avec tous les généraux et les
colonels de son armée : j’étais entre lui et l’amiral dont tout le monde fait
l’éloge, surtout depuis son dernier combat avec les Anglais, lors de son
passage avec le maréchal Davout. Pendant le déjeuner on a chanté des couplets
et des rondes et les grenadiers répétaient le refrain... J’étais surprise de
leur tenue embarrassée de l’air gauche et craintif en chantant la descente en
Angleterre, car le dernier vers de la chanson disait, s’il m’en souvient : Que
traverser le détroit, ce n’était pas la mer à boire ».
Le soir même Davout
écrivait à sa femme : « J’ai eu aujourd’hui la visite de la
Princesse Louis..., elle m a fait l’honneur de déjeuner chez moi ».
En déjeunant à côté de
l’amiral Verhuell, la fille de Joséphine pouvait-elle se douter que ce dernier
allait être un an plus tard, l’un de ses sujets, l’un des principaux
personnages du royaume de Hollande, et qu’il serait par la suite, l’un de ses
amants ! La chronique galante attribuera même à Verhuell, la paternité de
Napoléon III.
Enfin le jour ‘’J ’’ arriva,
mais ce n’était pas celui que, depuis si longtemps, attendaient les soldats et
les marins du Camp de Boulogne. L’Aigle allait fondre sur l’Autriche et non sur
l’Angleterre. Le 27 août, Davout recevait l’ordre de mettre son corps d’armée
en marche vers Haguenau par Ardres, Watten, Cassel, Bailleul, etc. Le mouvement
commença le 28 par la 1ère division pour se terminer le 1er
septembre par l’artillerie, la cavalerie et les différents services. C’est ce
jour-là, ou le lendemain, que Davout quitta Ambleteuse.