L’artillerie française pendant la bataille d’Auerstaedt
le 14 Octobre, 1806
par Robert Burnham

L’artillerie française du 3ème corps de la Grande Armée, commandée par le maréchal Davout, le 14 Octobre 1806 était répartie en batteries divisionnaires avec un corps d’artillerie de réserve. Bien que les détails sur l'infanterie et l'ordre de bataille de la cavalerie soient assez bien connus, jusque récemment l'ordre de bataille exact de l'artillerie était difficile de trouver. Les sources sont contradictoires et peu conviennent du nombre d'armes. Même l’ouvrage « Opérations du 3ème Corps 1806-1807 » qui contient son rapport officiel à Napoléon, fournit peu de détails. La meilleure source est « Jena 1806 » de David Chandler qui est fortement détaillée mais laisse néanmoins quelques vides.

Ce texte n’est qu’un essai afin de remplir ces vides en examinant les deux travaux et en conciliant ensuite les deux. Il examinera aussi brièvement le rôle des batteries d'artillerie pendant la bataille.

Ordre de bataille

L'ordre de bataille (1) de l'artillerie du 3ème Corps n'était pas uniforme d’une division à l’autre, les batteries ne suivaient pas non plus la norme de huit batteries de canons. La plupart des batteries étaient seulement composées de six canons, tandis qu'au moins une batterie était partagée entre deux divisions d'infanterie.

 

L'ordre de bataille était le suivant :

 

1ère Division d’artillerie (Chef de l’artillerie : Major Vasseras)

-           11ème Compagnie, 7ème régiment d’artillerie (5 canons de huit-livres, 1 obusier de six-pouces et un autre…) (2)

-         1ère Compagnie, 5ème régiment d’artillerie à cheval (6 canons de quatre-livres) (Commandée par le capitaine Séruzier)

-           1er et 6ème détachement du 1er bataillon d’artillerie du Train (3)

 

2ème Division d’artillerie (Commandant : Chef de Bataillon Villeneuve)

-         2ème Compagnie, 7ème régiment d’artillerie (5 canons de huit-livres et 1 obusier de six-pouces)

-         Détachement de la 2ème Compagnie, 5ème régiment d’artillerie à cheval (2 canons de quatre-livres)

-         Détachement de la 3ème Compagnie du 1er bataillon d’artillerie du Train

-           Une autre partie du 4ème et 5ème détachement du 1er bataillon d’artillerie du Train (4)

 

3ème Division d’artillerie (Commandant : Chef d'Escadron Pelegrin)

-         3ème Compagnie, 7ème régiment d’artillerie (5 canons de huit-livres, 1 obusier de six-pouces)

-         Détachement de la 2ème Compagnie, 5ème régiment d’artillerie à cheval (2 canons de quatre-livres)

-         Détachement des 4ème et 5ème Compagnies du 1er bataillon d’artillerie du Train

 

Corps d’artillerie de réserve (Commandant : Colonel Jouffroy) (5)

-         2ème Compagnie, 7ème régiment d’artillerie

-         3ème Compagnie, 7ème régiment d’artillerie

-         15ème Compagnie, 7ème régiment d’artillerie

-           Détachement de la 2ème Compagnie du 1er bataillon d’artillerie du Train (6)

-         Détachement des 1er, 3ème, 5ème et 6ème Compagnies du 3ème bataillon d’artillerie du Train

 

Notes

(1) Le Chef de l’artillerie du 3ème Corps était le Général de Brigade Hanicque; le Colonel Charbonnel était le Chef d’Etat-Major de l’artillerie.

(2) Chandler annonce qu'il y avait une compagnie d'artillerie à cheval assignée à la 1ère  Division mais ne fournit pas l'identification de l'unité. Il inscrit sous l'artillerie de Corps la 1ère Compagnie du 5ème Régiment d'Artillerie de Cheval, mais dans sa liste de pièces d'artillerie, il n'y a aucune batterie légère. La 1ère Compagnie a été très probablement assignée à la 1ère Division. Chandler indique aussi qu’il y avait 7 canons de quatre-livres assignés à la division. Davout, cependant, mentionne la Compagnie légère comme n'ayant seulement que six canons, tandis que l'autre Compagnie en avait sept. Malheureusement il n'inscrit pas la taille des canons. C'était probablement un autre canon de huit-livres ou un obusier de six-pouces.

(3) La nomination des détachements de train d'artillerie est suspecte. Le colonel Etling, dans son livre « des Épées autour du Trône », déclare que chaque bataillon du train d'artillerie a été organisé en six détachements, cinq organisés pour soutenir les compagnies d'artillerie à pied  tandis que le sixième soutiendrait une compagnie d’artillerie montée. Chaque détachement était commandé par un sergent-major. Malheureusement il n'expose pas quel détachement soutenait l'artillerie à cheval. Davout ne mentionne pas d'autres détachements spécifiques que celui où chaque division avait deux détachements du 1er Bataillon du Train d'Artillerie.  Cependant, le Chef de Bataillon Villeneuve, Commandant de l'Artillerie de la 2ème Division, expose spécifiquement dans son rapport à son Commandant de division que la nuit après la bataille, sa division n’avait seulement qu’un détachement, du 1er Bataillon.

(4) La 2ème Compagnie du 5ème Régiment d'Artillerie de Cheval était assignée à la 3ème Division. Cette compagnie avait 4 canons de quatre-livres. Avant la bataille, la moitié de la compagnie fut détachée à la 2ème Division. Villeneuve précise qu’elle rejoignit la 3ème Division dès la nuit, après la bataille.

(5) Le Corps d’artillerie de réserve avait 17 pièces d’artillerie et était commandé par le Colonel Jouffroy. D’après l’état qu’en a fait Chandler, ces 17 pièces étaient composées de 6 canons de douze-livres d’origine autrichienne, de 8 canons de huit-livres et de 3 obusiers de six-pouces. Il ne dit pas si la compagnie n’avait que des canons. L'organisation la plus probable était que l’une des compagnies avait des canons de douze-livres et un obusier, tandis que les deux autres avaient quatre canons de huit-livres et un obusier chacun. Les canons autrichiens de douze-livres sont intéressants.  Le colonel Etling dit que Napoléon a commencé à équiper ses unités de canons autrichiens capturés en 1806, tandis que Terence Wise dans son livre « Équipement d'Artillerie des Guerres Napoléoniennes », dit qu'en 1807, des 48 canons du Corps de Soult 42 étaient des pièces autrichiennes. Donc il est possible que ces canons soient des pièces autrichiennes. (Davout n’en fait pas mention).

(6) Il est peu probable que les cinq détachements du train d'artillerie assignés à la Réserve de Corps (2ème du 1er Bataillon et les 1er, 3ème, 5ème et 6ème Détachements du 3ème Bataillon (temporaire) ne soutiennent que la compagnie. Très probablement deux d'entre eux ont porté l'équipement des artificiers d'artillerie et les pontonniers de la Compagnie du Génie.

Les opérations d’artillerie au cours de la bataille d’Auerstaedt

Peu de récits de la bataille d'Auerstaedt fournissent des informations détaillées et précises sur le déploiement de l'artillerie française. Même le rapport de Davout contient des inconsistances. La chose suivante est racontée par plusieurs sources.

Vers 6h30 le matin du 14 octobre, la brigade légère du 3ème Corps traverse la rivière Saale sur le pont de Kösen. Cette brigade est commandée par le Général Gauthier et comprend les 25ème et 85ème régiments d’infanterie, plus 2 canons de huit-livres de la 3ème Compagnie du 7ème d’Artillerie, le 25ème Régiment mène la marche. Aux alentours de la ville de Hassenhausen, la brigade accroche l'avant-garde prussienne, estimée à environ 600 cavaliers. Les Français se déploient avec le 85ème Régiment sur la gauche, le 25ème Régiment sur la droite et les 2 canons de huit-livres le long de la chaussée entre les deux régiments. Déjà les Prussiens sont renforcés par 5 escadrons de cuirassiers et un bataillon de grenadiers. La cavalerie est placée sous le feu lourd des canons de huit-livres. Les Prussiens amènent en silence des canons en montant huit batteries à cheval du Capitaine Graumann mais il est rapidement dispersé par le feu français. La bataille fait rage pendant près de 90 minutes pendant que des deux côtés les différentes unités prennent part au combat. A 8 heures, le reste de la 3ème Division d’artillerie (3 canons de huit-livres, un obusier et 2 canons de quatre-livres tirés par les chevaux) arrive et Gudin les rassemble tous et les pousse en avant, à droite du 85ème Régiment. Là il les dirige pour soutenir le 85ème Régiment. Bientôt les Prussiens amassent 25 escadrons de cavalerie et font une charge furieuse, forçant les français à former des carrés. Ils sont néanmoins repoussés avec d'énormes pertes humaines.

A 8h15 la 2ème Division, commandée par le Général Friant, commence à arriver. Davout la place sur la droite de la Division Gudin. Bien que cette Division n’ait seulement que huit canons, le commandant les divise en trois batteries. La première commandée par le Capitaine Chemin, de l'artillerie à cheval, comprend deux canons de huit-livres. La deuxième est commandée par le Lieutenant Jaulte et a deux canons de quatre-livres. La troisième a trois canons de huit-livres et un obusier, elle est commandée par le capitaine Jarry. Le feu de l’artillerie se concentre contre le village de Spielberg.

A 9h30 , les 17 canons du Corps d’artillerie de réserve arrivent et Davout les place sur les collines entre Speilberg et Hassenhausen, dans attente d’une attaque Prussienne de ce côté. Il modifie aussi la 3ème Division à droite laissant le 85ème Régiment et deux canons de huit-livres pour défendre Hassenhausen.

L'attaque prussienne se fait à 10 heures avec deux divisions (Wartensleben et Schmettau). Schmettau attaque au nord de Hassenhausen et il échoue. Wartensleben attaque au sud du village et écrase pratiquement le 85ème Régiment avec ses deux canons qui est forcé à reculer. Les français sont en danger pour avoir leur flanc tourné Wartensleben quand la 1ère Division commandée par le Général Morand arrive. Le 13ème Régiment d’infanterie légère qui a deux canons de quatre-livres se déplace pour supporter le 85ème Régiment. Le reste de la Division manoeuvre pour aider les 2 Régiments. La batterie de huit-livres de la division est donc partagée avec une section sur les deux flancs de la Division. Après avoir repoussé cinq charges de cavalerie, le flanc est finalement conservé. Davout ordonne alors à l'artillerie d'être placée au centre de la division.

A 11h30 des éléments de la 1ère Division de réserve Prussienne, commandée par le Général Von Kalkreuth, attaque à nouveau le flanc gauche français. Davout voit le mouvement et commande à Morand de déplacer son 30ème Régiment et sa batterie à pied pour aider le 17ème Régiment. Le tir combiné et croisé des 2 régiments ainsi que l’artillerie sont trop intenses pour les prussiens et ils font marche arrière.

A 12h30 Davout ordonne à son Corps d’attaquer. Morand place son artillerie à la base d'un moulin à vent qui surplombe le champ de bataille. Cela lui permet de prendre à revers l'infanterie Prussienne qui recule de la colline. Sur le flanc de la ligne française, Friant précipite ses forces pour conquérir l'autre flanc. Bientôt les prussiens craquent sous la pression et leurs lignes se désagrègent. Pour l'artillerie la bataille est finie.

Dans la soirée, le chef d'artillerie de Corps commandant le détachement de la 2ème Compagnie de la 5ème Artillerie à Cheval qui a soutenu la 2ème Division pendant la bataille, ordonne de se réunir, avec le reste de sa Compagnie, avec la 3ème Division.

Les pertes humaines de l'artillerie sont assez faibles. Dans la 1ère Division, le Capitaine Séruzier, commandant l'artillerie de cheval, a été blessé deux fois. Dans la 2ème Division, la batterie à pied a eu cinq soldats blessés, surtout par le feu de petites armes. De plus un canon de huit-livres a été démonté. Le détachement d'artillerie à cheval avec deux canons a eu deux hommes légèrement blessés par le feu de mousquets, tandis que deux chevaux ont été blessés et un tué. Le train d'artillerie a souffert plus, avec trois soldats blessés et vingt et un chevaux tués. Dans la 3ème Division, un lieutenant d'artillerie a été tué et un blessé. (Martinien, dans son ouvrage « Tableaux Par Corps et Par Batailles des Officiers Tués et Blessés Pendant les Guerres de L'Empire (1805-1815) », ne les inscrit pas en tant que pertes humaines.)

L’utilisation des munitions a été très importante. La 2ème Division a annoncé que vers la fin de la bataille elle avait tiré le deux-tiers de ses munitions.

Dans son rapport à Napoléon, le Maréchal Davout mentionne spécifiquement plusieurs de ses officiers d'artillerie : « ... Général Hanicque, commandant l’artillerie de son Corps, dont les excellentes dispositions ont contribué beaucoup au succès de la bataille ». Davout mentionne aussi le Colonel Charbonnel et chacun de ses chefs d’artillerie divisionnaires par leur nom. Les exploits du Capitaine Séruzier, de la 1ère Division, ont dû être superbes, parce qu'il a été mentionné deux fois et appelé « l’intrépide ».

 

Conclusion

L’organisation de l’artillerie du 3ème Corps semble peu orthodoxe mais elle a permis une flexibilité tactique immense aux commandants. Tant le Corps que les commandants de Division les ont organisés pour être les plus efficaces. La désignation des batteries a semblé être administrative, plutôt qu'une organisation tactique. Les batteries ont été manœuvrées par des sections à deux canons et attachées ou détachées à une unité au besoin. Par exemple, dans la 3ème Division la brigade principale avait une section de canons de huit-livres attachées à elle. (Dans un sens cela signifie quelque chose, puisque il a donné à la brigade une importante puissance de feu, tandis qu'en même temps il était permis à Gudin d’utiliser les canons plus mobiles de quatre-livres comme une réserve d'artillerie.) Dans la 2ème Division, Friant a complètement ignoré l'organisation administrative des batteries et a divisé les canons dans trois "batteries" tactiques. Il a même ignoré l’artillerie à cheval et l'artillerie à pied et il n’avait que le détachement d'artillerie de cheval servant sa brigade avec deux canons de huit-livres sous les ordres du commandant d'artillerie à cheval. De même, les batteries à cheval de quatre-livres servaient à l'artillerie à pied et étaient commandées par un lieutenant. Il n'y a aucune raison à cela, cependant il peut avoir été placé ainsi afin que les batteries plus lourdes soient conduites par un officier d'expérience.  Dans la 1ère Division, au début de leur contre-attaque pour soulager la pression sur le flanc gauche de Gudin, la batterie de huit-livres de la Division a été divisée en deux et donc placée sur les deux flancs de l'attaque. (Davout pouvait éventuellement ordonner de consolider le centre.) Bien que ces pratiques soient inhabituelles, ils ont travaillé et ont ainsi contribué immensément à la victoire française.

 

Compte-rendus

La suite consiste en un "compte-rendu d'action" transmis la nuit du 14 octobre par le 2ème commandant d'artillerie de Division à son commandant de division.

Rapport par Chef de Bataillon Villeneuve, Commandant de l'Artillerie de la 2ème Division, au Général Friant, le 14 octobre 1806.

« L'artillerie de division a été divisée en trois batteries; la première de deux pièces de huit servie par l'artillerie de cheval et commandée par le Capitaine Chemin; la deuxième de deux pièces de quatre servie par l'artillerie à pied et commandée par le Lieutenant Jaulte; la dernière de trois pièces de huit et un obusier, commandée par le Capitaine Jarry.

Ces batteries ont été placées en front, sur les ordres du général commandant et ils ont dû changer leurs positions pour suivre les mouvements ennemis et occuper des positions successives qu'ils ont été obligés d’abandonner. Vers la fin du combat, les pièces d'artillerie légères ont été réunies, selon l'ordre du général en chef, avec ceux de la 3ème Division et n'ont été rendus au parc de la deuxième qu’en fin de journée.

Les Capitaines Chemin et Jarry ont mené et dirigé leurs batteries avec beaucoup de  sang-froid, d’intelligence et de bravoure comme on s'y attendrait avec de vieux soldats. Le lieutenant Jaulte a conduit et a dirigé avec le même succès et a déployé à cette occasion une ardeur pour ses devoirs au même degré. Il a eu son cheval tué sous lui. La 2ème Compagnie du 7ème Régiment d'Artillerie avait un sergent et quatre canonniers blessés autant à cause du feu des mousquetaires que les canons. On recommande ce sergent, nommé Claret, dans tous les rapports. La 2ème Compagnie du 5ème Régiment d'Artillerie à Cheval avait deux hommes légèrement blessés par des tirs de mousquets, deux chevaux blessés et un tué.

Le détachement du 1er Bataillon (le principal) du Train d'Artillerie a eu un maréchal-des-logis et deux soldats blessés; vingt et un chevaux tués et deux qui ont été envoyés au Général Gudin.

L'artillerie à pied a perdu seize mousquets et huit musettes. Il faut recommander en général tout le personnel de l'artillerie qui a réussi dans ces circonstances.

Une pièce de quatre et une de huit ont été démontées et le deux-tiers des munitions a été consommé. Un officier est parti au parc de la réserve obtenir d’autres munitions ».

Bibliographie

David-G. Chandler : « Jena 1806 » : Napoleon Destroys Prussia Osprey Military Campaigns Series n°20; Osprey Publishing, London; 1993.

Louis-N. Davout : « Opérations du 3ème Corps 1806-1807 », Rapport du Maréchal Davout, Duc d'Auerstaedt ; Ancienne Maison Michel Levy Frères, Paris; 1896.

John-R. Etling : « Swords around a Throne », Napoleon's Grande Armée; MacMillan, New York; 1988.

Patrick Griffith : « French Artillery »,  Almark, London; 1976

Philip Haythornthwaite : « Napoleon's Specialist Troops »; Osprey, London; 1988.

F-G. Hourtoulle : « Davout le Terrible »; Editions Copernic, Paris; 1975.

A. Martinien : « Tableaux Par Corps et Par Batailles des Officiers Tués et Blessés Pendant les Guerres de L'Empire (1805-1815)  »; Editions Militaires, Paris.

F-Loraine Petre : « Napoleon's Conquest of Prussia - 1806 »; Hippocrene Books, New York; 1977.

H.C.B Rogers : « Napoleon's Army »; Hippocrene Books, New York; 1974.

Robert Wilkinson-Latham : « Napoleon's Artillery »; Osprey, London; 1975.

Terence Wise : « Artillery Equipment of the Napoleonic Wars »; Osprey, London; 1979.