Davout, homme de devoir.
1. Le soldat.
(Article de Jean LINDEN)
Sous la
Seconde Restauration (1815-1823)
Après
le 9 thermidor, il s'emploie activement à obtenir sa réintégration dans
l'armée.
Cela
ne se fera pas sans mal car la plupart de ses appuis se trouvent rejetés dans
l'ombre; seul, Turreau peut intervenir efficacement auprès de Carnot, qui
promet mais ne tient pas, et de Pille, qui a la responsabilité du personnel au
ministère de la Guerre. Enfin, le 27 septembre 1794, Davout est affecté à
l'Armée des Côtes de l'Ouest, en qualité de général de brigade. Cette
destination ne lui convenant pas, il obtient d'être nommé à l'Armée de la
Moselle. Quand il la rejoint, elle vient de recevoir l'ordre de s'emparer de
Luxembourg. Davout, qui commande l'avant-garde de la division Debrun, obtient
un succès local, qui est mis à l'ordre du jour de l'armée, lors des manœuvres
d'investissement de la ville. L'hiver est difficile pour les assaillants et il
faut à la fois, assurer un minimum de confort à la troupe, qui ne dispose que
de peu de moyens pour s'abriter des intempéries, et l'occuper par des exercices
et des travaux pour éviter l'oisiveté, génératrice de désordres. Davout excelle
dans cette tâche qui sera, durant toute sa carrière, un de ses objectifs
principaux. Il va mener et réussir, le 4 mars, une véritable opération de
commando pour détruire un des points vitaux de Luxembourg: le Moulin d'Eish.
Cette opération nous montre les qualités militaires du jeune général de
brigade: choix de l'objectif - la ville, fortement défendue, ne pouvant être
prise que par la famine - utilisation du renseignement, - il utilise les
services d'un déserteur d'origine alsacienne - attente du moment propice pour
réaliser la surprise - une nuit de brouillard, exécution avec des hommes
entraînés, disciplinés, aguerris, ce qui limite les pertes.
Au mois de mai, avant la prise de Luxembourg qui ne tombera que le 7
juin 1795, la division Ambert, où sert Davout, est mutée à l'Armée du Rhin et
Moselle, que commande Pichegru. Ce dernier, qui intrigue déjà avec les
royalistes, monte une offensive qui, dans un premier temps, permet à Davout de
pénétrer en avant-garde dans Manheim, le 20 septembre. Devant la faible
résistance opposée par cette ville, Pichegru poursuit son attaque pour
s'emparer de Heidelberg mais, avec une telle témérité et une telle
imprévoyance, que les deux divisions, chargées de l'opération, 6e général
Ambert où sert Davout et 7e général Dufour, assaillies par des forces très
supérieures en nombre et dans l'impossibilité de se porter mutuellement secours,
car elles progressent chacune sur une rive du Neckar, sont obligées de se
replier dans la ville. Celle-ci, investie le 29 octobre par les Autrichiens,
est placée sous les ordres du général Montaigu qui commande une garnison de
près de 10.000 hommes encadrés par plusieurs généraux dont Davout. Le 23
novembre Montaigu rend la place malgré l'opposition de plusieurs généraux, dont
Davout, qui estiment qu'il subsiste encore des moyens de défense. Emmené en
captivité avec la garnison, il est mis en liberté sur parole, ce qui lui
interdit de reprendre les armes contre l'Autriche jusqu'à un échange de
prisonniers ou à la paix. Il revient alors à Ravières où il va partager ses
loisirs forcés entre la chasse, les parties de campagne et la lecture de la
très importante bibliothèque de la marquise de Louvois, au château
d'Ancy-le-Franc, mise à sa disposition. Il est particulièrement passionné par
l'histoire de Polybe, suivie des commentaires du Chevalier Folard, dont les
principes vont très largement inspirer son comportement au combat.
Au mois de juin 1796, l'échange ayant eu lieu, il peut rejoindre
l'Armée du Rhin commandée par Moreau. Il participe au franchissement
du Rhin et à l'avance victorieuse à travers l'Allemagne, mais aussi à la
retraite qui le ramène à Kehl. C'est pendant le siège de cette localité que
Davout se lie à Desaix, dont il restera le plus fidèle ami jusqu'à la mort de
ce dernier. Kehl est défendue avec énergie et habileté et la place résiste deux
mois avant qu'elle soit évacuée avec les honneurs de la guerre.
Moreau
reprend l'offensive au printemps. Le 20 avril, sous les ordres de Desaix, trois
brigades, dont une commandée par Davout, franchissent le Rhin et établissent
une tête de pont à Diersheim. Les violentes contre-attaques autrichiennes sont
repoussées grâce à la souplesse du dispositif français; la poursuite s'organise
contre l'ennemi en retraite. A la tête du 9e Hussards et 17ème
Dragons, appuyés par deux pièces d'artillerie, Davout conduit l'avant-garde,
s'empare du fourgon contenant la correspondance entre Pichegru et les
Autrichiens prouvant la culpabilité de l'ancien conquérant des Pays-Bas, pousse
jusqu'à Biberac. Les préliminaires de Leoben arrêtent alors les opérations.
Après
une longue période sans autres incidents que ses difficultés avec Moreau, puis
avec Augereau qui lui succède à la tête de l'Armée du Rhin, il est affecté, le
12 janvier 1798, à l'Armée d'Angleterre. Le 22 mars, Desaix le présente à
Bonaparte. On ne sait rien de ce qui s'est dit entre les trois hommes mais, faveur
rare pour un général de l'Armée du Rhin, il est désigné pour participer à
l'Expédition d'Egypte.
Au débarquement en Egypte, Davout est attaché à l'Etat-Major général,
sans affectation particulière. Le 11 juillet 1798 il reçoit le
commandement de la cavalerie de la division Desaix, en remplacement du général
Mireur qui vient d'être tué. Il participe au combat de Chobrakit le 13 juillet
et à la bataille des Pyramides le 27, ce qui lui vaut une citation à l'ordre de
l'armée.
Malheureusement,
une crise de dysenterie l'oblige à rester au Caire. A peine remis, il est
chargé de la remonte de la cavalerie, opération difficile car les chevaux que
les mameluks n'ont pas emmenés sont aux mains d'un personnel non combattant qui
n'entend pas s'en dessaisir. Celle-ci heureusement terminée, la brigade de
cavalerie Davout gagne la Haute-Egypte en décembre; il va mener de nombreux
combats, tantôt en détachement isolé, tantôt sous les ordres directs de Desaix.
Il s'illustre partout, à Souaqui, à Tahtah, à Samhoud, à Redecieh, à
Bir-el-Bar, faisant preuve d'autant d'habileté dans les manœuvres que de
hardiesse dans les charges. Mais la répression est sévère, les populations
révoltées sont exterminées, leurs villages brûlés.
Après
le retour de Bonaparte au Caire, il faut reconstituer la cavalerie décimée.
Deux brigades légères sont confiées respectivement à Murat et à Davout quand ce
dernier est atteint d'une nouvelle attaque de dysenterie. Apprenant le
débarquement des Turcs à Aboukir, bien que convalescent, il obtient un commandement
dans l'armée qui, sous les ordres de Menou, assiège la ville et le fort, et le
30 juillet il s'empare des maisons qui entourent la citadelle après de violents
combats, coupant les défenseurs de leur ravitaillement et précipitant leur
reddition.
Kléber,
devenu général en Chef depuis le départ de Bonaparte, réunit un conseil de
guerre le 15 juillet 1800 pour faire approuver la Convention d'El Arisch qui
prévoit le départ des troupes françaises d'Egypte. Seul des généraux présents,
Davout
s'y oppose mais signe néanmoins le procès-verbal d'accord afin, dira-t-il, de
réaliser l'unanimité indispensable dans une telle situation.
Sa
santé toujours chancelante à la suite de plusieurs attaques de dysenterie, il
sollicite, pour cette raison, son rapatriement en même temps que son ami
Desaix.
Espérant
le retenir, Kléber lui offre le grade de général de division; Davout refuse à
nouveau cette nomination et s'embarque avec Desaix. Après une traversée des
plus mouvementée, les deux hommes débarquent à Toulon le 24 avril 1800.
Après un séjour à Ravières pour rétablir sa santé délabrée, il gagne
Paris où, le 3 juillet 1800, Bonaparte, maintenant Premier Consul, le nomme
général de division et lui donne le commandement de la cavalerie de l'Armée
d'Italie.
Jusqu'en
décembre 1800, rien d'important ne se passe sur le front de cette armée. C'est
à cette époque que Brune, qui y est à la tête depuis le départ de Masséna et
qui suivait la progression de Macdonald à travers le Tyrol,
apprenant
l'approche de celui-ci, décide de prendre l'offensive. Le passage du Mincio, le
25 décembre, premier obstacle, débute très mal. Dupont, qui commande l'aile
droite française, franchit la rivière comme prévu pour attirer les Autrichiens
et dégager le passage plus au Nord pour le gros de l'armée; malheureusement, il
n'a pas reçu le contre-ordre retardant l'opération de 24 heures et il se trouve
assailli par des forces infiniment supérieures qui le mettent en danger d'être
écrasé. Davout prévenu lui envoie, de sa propre initiative, plusieurs régiments
de cavalerie pour lui permettre de se dégager; se mettant lui-même à la tête
d'un régiment de dragons, il charge énergiquement les renforts hongrois qui
allaient prendre part au combat et les met en fuite. La situation rétablie le
26, le passage de l'armée s'effectue sans difficulté et la poursuite commence;
elle ne s'arrêtera que sur la Piave, à l'annonce du traité de Lunéville. Entre
temps, Davout avait reçu le commandement de l'aile gauche à la place de Moncey.
En effet, celui-ci s'était fié à la parole d'honneur de l'Autrichien Landon;
enfermé entre les montagnes et l'Adige, ce dernier, lui annonçant faussement la
conclusion d'un armistice, lui avait ainsi échappé...
Davout,
avec élégance, ne voulant pas désobliger son aîné dont la bonne foi avait été
surprise, prit la direction de l'avant-garde et ne fit rien sans avoir demandé
ses ordres à Moncey, acquérant ainsi l'estime de la troupe qui trouvait la
sanction excessive.
La paix revenue entraîne une réduction des effectifs de l'Armée d'Italie
et libère Davout de son commandement; il rentre alors en France. Après
un court séjour auprès de sa mère à Ravières, il gagne Paris. Il est nommé
inspecteur général des troupes à cheval puis, le 28 novembre 1801, commandant
des grenadiers à pied de la Garde des Consuls. Il venait, le 9, de se marier
pour la seconde fois. Il épousait la sœur du général Leclerc, époux de Pauline
Bonaparte en instance de départ pour Saint-Domingue. Il approchait ainsi de
très près la famille Bonaparte et Joséphine avait été chargée de faire agréer
sa demande. Louise-Aimée-Julie Leclerc était très belle, très sensible et, ce
qui n'était pas à négliger, richement dotée. Elle avait été élevée à
l'Institution de Madame Campan où elle s'était liée avec Caroline Bonaparte et
Hortense de Beauharnais et y avait acquis une parfaite éducation. Le ménage
sera parfaitement heureux, en dépit de longues séparations qui éveilleront
souvent, et pas toujours à tort, la jalousie de l'épouse et malgré la perte
cruelle de plusieurs enfants en bas âge.
La
rupture de la Paix d'Amiens entraîne la formation, face aux côtes anglaises,
d'une grande armée préparée, équipée, entraînée pour un débarquement. Le
Premier Consul confie à ses meilleurs généraux les camps où seront installés
les troupes et les corps qu'ils constituent. Ainsi sont nommés: Bernadotte à
Hanovre avec le 1er corps. Marmont à Utrecht avec le second, Soult à
Boulogne avec le 4ème corps. Ney à Montreuil et Etaples avec le 5ème
corps qui deviendra le 6ème lorsque Lannes prendra un nouveau 5ème
corps à Boulogne. La réserve est à Arras sous Junot. Davout reçoit le
commandement du camp de Bruges, base du 3ème corps; il s'étendait de
Flessingue à Dunkerque inclusivement et comprenait initialement trois divisions
d'infanterie et une brigade de cavalerie.
Cette
nomination date du 29 août 1803. Le 19 mai 1804, Davout est élevé à la dignité
de maréchal d'Empire.
A
cette époque, le commandant du 3ème corps a déjà acquis la
connaissance approfondie du métier militaire. Cavalier d'origine, commandant un
bataillon d'infanterie au feu, puis des armes combinées sur des terrains
d'opérations aussi divers que l'Allemagne, l'Egypte et le Nord de l'Italie, il
a tout assimilé des différentes formes de combat, en plaine, en forêt, en
montagne ainsi que de l'investissement et de la défense des places. Grand
lecteur d'ouvrages militaires, il a pu transposer la théorie sur le plan
pratique et souvent adapter l'une à l'autre. Il est désormais apte aux plus
grands commandements.
L'administration
du camp de Bruges, la mise en condition opérationnelle des troupes qui s'y
trouvent, représentent des tâches très lourdes pour son commandant.
L'échange de correspondance presque quotidien, pendant cette période,
entre Napoléon et Davout, nous permet de savoir comment ce dernier résout les
multiples problèmes auxquels il doit faire face. Il fait construire
des baraquements en bois pour protéger les hommes contre les intempéries,
rétablir un état sanitaire satisfaisant en dépit de l'insalubrité de certains
secteurs - le 25 octobre 1804 la division Friant compte 2.129 hospitalisés sur
un effectif total de 6.810 hommes -, assurer un peu de bien-être. Il veille
dans les moindres détails aux équipements, à l'armement, à la nourriture,
entraîne sans répit les différentes unités, marches et exercices alternent avec
des manœuvres destinées à obtenir une parfaite coordination entre les
différentes armes, marine comprise. Il doit encore dépister les nombreux
espions à la solde d'une Angleterre inquiète, empêcher et réprimer les désertions,
régler les problèmes quotidiens avec les autorités civiles, les litiges avec la
population locale, etc.
Son
activité débordante - 16 à 18 heures de travail par jour -, sa compétence, son
sens de l'autorité, lui assurent la réussite et lorsque l'armée quittera les
bords de la Manche pour les champs de bataille d'Europe, il emmènera avec lui
trois divisions d'élite qu'il a formées: les divisions Friant, Gudin et Morand,
cette dernière étant alors commandée par le général Bisson.
Entre
temps, le 1er mai 1804, il avait adressé au Premier Consul son adhésion et
celle de son corps d'armée au projet d'instauration de l'Empire et assisté, le
2 décembre, aux cérémonies du Sacre. Il avait aussi été doublement atteint dans
son affection paternelle par la mort en bas âge de ses deux premiers nés.
Depuis le début du mois d'août 1805, l'Empereur, qui n'a plus de doute
sur les projets d'offensive de la 3ème coalition, prend des
dispositions militaires à l'Est.
Le
26 août, il donne au maréchal Berthier l'ordre de mouvement concernant l'armée
primitivement prévue pour le débarquement en Angleterre. Le 26 septembre,
l'avant-garde du 3ème corps ayant franchi le Rhin est à Manheim.
Poursuivant
sa route par Heidelberg, Crailheim, Ottingen, elle passe le Danube à hauteur de
Neubürg; Davout gagne Dachau où il stationne plusieurs jours pendant que, à 120
km à l'Ouest de Ulm, Mack, complètement débordé et enfermé par la rapidité de
progression des corps français, capitule. Le 26 octobre, le 3ème
corps franchit l'Inn à Mühldorf après avoir rétabli le pont détruit par les
Autrichiens en retraite. Il continue sa route par Ried et Haag, force le
passage de la Traun après un court combat, pénètre dans Lambach, se heurte à
nouveau à l'ennemi à Steyr puis infléchit sa marche vers la montagne pour
tourner la gauche adverse et, près de Lilienfeld, attaque le corps autrichien
de Merfeld, le refoule en désordre, non sans avoir fait 400 prisonniers, pris
16 canons et 3 drapeaux.
Le
lendemain de l'entrée des forces françaises à Vienne, Davout y pénètre et y
installe son Quartier Général. Son corps d'armée tient la ligne
Vienne-Presbourg pendant que le gros de l'armée, face au Nord, s'est lancé à la
poursuite des Austro-Russes sur la route de Brno et Olmütz.
Fin
novembre, l'ennemi est prêt à tomber dans le piège que Napoléon lui a
habilement tendu près d'Austerlitz, mais l'Empereur a besoin de rassembler un
maximum de forces pour réussir sa manœuvre et il rappelle Bernadotte qui se
trouve près d'Iglau et Davout, beaucoup plus éloigné, la division Friant, la
plus proche, se trouvant sous Vienne à quelque 140 km au Sud. L'ordre de marche
lui parvient le 29 novembre à 20 heures. Après avoir gagné les points de
rassemblement, la division se met en marche à 23 heures. Le lendemain soir,
elle est à Nikolsburg, ayant couvert 72 km en 24 heures. Le 1er
décembre, à 19 heures, elle atteint Raygern à 112 km de Vienne et en repart le
lendemain matin à 5 heures pour gagner le champ de bataille où elle se bat
toute la journée dans le secteur de Sokolnitz.
Au
cours de cette marche extraordinaire, qui prouve le haut degré d'entraînement
auquel l'avait amenée le maréchal Davout, elle avait parcouru les 112 premiers
km en 44 heures, dont 36 heures de marche effective et seulement 8 heures de
repos et cela avec, sur le dos de chaque fantassin, un chargement complet de
vivres, de vêtements et de munitions.
La mission de Davout, qui prenait place à l'extrême droite du
dispositif français, était de contenir la tête de colonne ennemie qui,
débouchant du plateau de Pratzen, tenterait de se porter sur nos arrières. Pour
cela, le maréchal ne disposait que de 3.300 hommes de la division Friant - les
autres n'ayant pu suivre le rythme de cette longue marche ne rejoindront, par
petits groupes, que dans la nuit et la matinée du lendemain - et des dragons de
la division Bourcier. A 8 h 30, le 3ème corps entre en action pour
reprendre successivement les villages de Telnitz et de Sokolnitz, que l'aile
droite de Soult, qui en assurait la défense, avait dû céder à un adversaire
infiniment plus nombreux. Le combat sera acharné
tout
au long de la journée et Sokolnitz changera de mains plusieurs fois, mais les
Russes n'arriveront jamais à percer la défense, bien que disposant d'une très
importante supériorité numérique. Davout manœuvre avec habileté ayant constitué
ses unités en trois échelons qui se soutiennent mutuellement, permettant
d'incessantes contre-attaques des unités non engagées pour reprendre le terrain
perdu; les charges des dragons colmatent les brèches et interdisent tout
développement de l'infanterie ennemie.
La
bataille d'Austerlitz s'achève dans le secteur tenu par le 3ème
corps; Soult, maître du plateau de Pratzen après y avoir enfoncé le centre
adverse, fait une conversion à droite et prend à revers l'aile gauche de
l'armée austro-russe, qui est toujours aux prises avec Davout sur la ligne
Telnitz-Sokolnitz, et qui se trouve ainsi enfermée dans un étau auquel bien peu
échapperont.
Dans
cette victoire, le rôle de Davout est ingrat car il ne participe à aucune des
grandes attaques, devant se contenter de contenir la poussée ennemie sur la
droite française, mais son action n'en est pas
moins importante puisqu'elle interdit à l'adversaire de déboucher sur nos
arrières, ce qui aurait mis Napoléon dans l'impossibilité de mener des
opérations offensives et l'aurait contraint à une retraite difficile pour
échapper à l'encerclement. Or, Davout s'est battu avec des moyens limités
contre tout un corps d'armée, le rapport des effectifs étant sensiblement de un
à quatre en sa défaveur, sur un terrain peu favorable à la défensive. Sa
réussite tient à la valeur combative de ces hommes qu'il a formés, entraînés
sur les côtes de la Manche et qui, à leur bravoure naturelle, ajoutent aussi un
automatisme qui, seul, permet de manœuvrer rapidement et en ordre sous la
mitraille, elle tient aussi à l'habileté avec laquelle il dirige et coordonne
les mouvements de ses unités en fonction d'une évolution constante de la
situation.
Après
la signature du traité de Presbourg, le 3ème corps est replié en
Souabe où il stationne jusqu'en septembre 1806. Pendant
toute cette période, Davout maintient une stricte discipline et parfait sans
relâche l'entraînement de la troupe. La guerre étant imminente, le 3e corps
quitte la région d'Oettingen le 28 septembre pour gagner Bamberg le 1er octobre
et y marquer une pause de plusieurs jours pendant laquelle Davout réquisitionne
les chevaux de la région.
Passées
en revue par l'Empereur, les divisions de Morand, Gudin et Friant, ainsi que la
cavalerie de Vialannes, se mettent en route le 8 sous la direction du maréchal
et s'installent le 12 autour de Naumburg. A cette date, Napoléon ignore la
position exacte des forces prussiennes, aussi demande-t-il aux commandants des
grandes unités de rechercher les renseignements et de les lui transmettre.
Partout on soudoie les espions, partout la cavalerie bat les campagnes
environnantes. Le 13, "le voile se déchire", suivant l'expression de
l'Empereur qui concentre ses forces autour d'Iéna, tandis que Bernadotte reçoit
l'ordre de se porter à Dornburg, sur la route reliant Iéna à Naumburg, où
Davout multiplie les reconnaissances, conduisant même certaines d'entre elles.
Ayant
connaissance d'un fort parti prussien sur Auerstaedt et Eckartsberg, il fait
solidement garder les ponts de Kösen et de Freyburg en attendant les ordres de
l'Empereur. Ceux-ci lui parviennent le 14 à 3 heures du matin. Ils précisent
l'intention de Napoléon d'attaquer dès le matin à partir d'Iéna en direction de
Weimar et commandent à Davout de se porter sur Apolda pour tomber sur les
derrières de l'ennemi, le choix de la route étant laissé à sa convenance.
Bernadotte venait d'arriver à Naumburg où le commandant du 3ème
corps lui faisait connaître les instructions le concernant: se joindre à Davout
ou gagner la position de Dornburg qui lui avait été précédemment indiquée; il
choisit cette dernière solution.
Le 14 octobre à 6 h 30 du matin, la division Gudin, qui marche avec le
maréchal en tête du 3ème corps, accompagnée d'un escadron du 1er
chasseurs - seule cavalerie disponible au moment du départ, le général
Vialannes qui la commande étant introuvable -, franchit le pont de Kösen, puis
la dure montée qui suit pour déboucher sur le plateau de Hassenhausen. Un
brouillard très épais s'est levé rendant la visibilité presque nulle. Davout,
qui sait, suite à sa reconnaissance de la veille, que les Prussiens sont dans
le secteur, envoie un détachement du 1er chasseurs en éclaireur.
Celui-ci se heurte, sur le plateau, à l'avant-garde ennemie où se trouve le Roi
de Prusse. Chargés par deux escadrons du Régiment de la Reine, les chasseurs se
replient derrière les 25ème et 85ème régiments
d'infanterie qui progressent en colonnes de chaque côté de la route et se
forment aussitôt en carré pour les accueillir, tandis qu'une autre attaque
menée par Blücher avec 600 chevaux, un bataillon de grenadiers et de
l'artillerie légère est décimée par l'artillerie de la brigade Gauthier,
installée sur la chaussée.
Les
régiments français reprennent leur marche sur le plateau, se groupent en carré
lors des attaques furieuses de la cavalerie de Blücher, puis repartant,
enlevant au pas de course les batteries qui leur barrent la route et occupent
Hassenhausen; un régiment s'installe au Sud du village tandis que les autres
unités avancent au Nord en direction de Spielberg. Le duc de Brunswick,
commandant en chef de l'armée prussienne, ne désespère pas d'atteindre ses
objectifs: tenir le défilé de Kösen et s'emparer du pont de Freyburg, un des
points de passage de son armée pour son mouvement de repli sur l'Elbe. Pour
cela, il fait déployer la division Schemettau et fait presser la montée en
ligne des divisions Wartensleben et Orange. Blücher, en dépit de charges
répétées, n'a pu entamer aucun des carrés qu'il assaillait avec 25 escadrons
qui, décimés, se replient et sont hors de combat pour le reste de la journée.
La
situation n'en est pas moins extrêmement critique pour la division Gudin dont
le 85ème d'infanterie, seul à gauche d'Hassenhausen, voit monter
vers lui deux divisions: Wartensleben et Orange, tandis qu'une troisième
division, celle de Schemettau, fait face à son centre et à sa droite.
Il est environ 8 h 30 quand Friant débouche sur le plateau. Le
brouillard s'est levé. Davout, qui a ainsi conscience de l'importance des
forces qui lui sont opposées, prend alors une décision qui va conditionner
toute la suite de la bataille ; au lieu de porter la division fraîche
sur sa gauche, en soutien du 85ème si menacé, il la place au
contraire à droite de Gudin, accentuant son effort sur l'aile gauche
prussienne. Menacé d'être enfoncé de ce côté, Brunswick doit alors faire passer
la division Orange de son aile droite à son aile gauche.
Davout
maintient sa pression sur un point critique de la ligne ennemie et conserve
l'initiative, alors que le soutien de sa gauche l'aurait obligé à prendre une
position défensive.
Friant,
appuyé par la cavalerie légère de Vialannes enfin arrivée et qui multiplie ses
charges, s'empare de Spielberg, malgré une très vigoureuse résistance de
l'ennemi qui lui cause de lourdes pertes. Mais au centre et à gauche la situation
du 3ème corps est de plus en plus compromise, malgré l'héroïque
résistance de la division Gudin, accablée par une supériorité numérique
écrasante des forces prussiennes. Obligée de céder du terrain, elle est menacée
d'être tournée sur sa gauche et enveloppée quand, vers 10 h 30, pressée par les
ordres de Davout, la division Morand arrive au pas de course. Le maréchal se
porte immédiatement à sa tête et prend à son tour l'offensive sur son aile
gauche. La disposition adoptée: une brigade en avant progressant en colonnes,
la brigade suivante montrant la tête de ses propres colonnes dans les
intervalles, permet une formation rapide en carrés qui se flanquent les uns sur
les autres et qui résistent ainsi sans être entamés par les charges répétées de
la cavalerie prussienne; dès que celle-ci se retire, les colonnes sont
reformées et reprennent leur marche en avant.
Brunswick
et Schemettau ont été mortellement blessés et le Roi prend le commandement de
son armée. Son aile droite recule devant Morand, qui dépasse Renehausen, tandis
que son aile gauche cède devant Friant qui déborde Popel faisant de nombreux
prisonniers. Davout fait alors attaquer son centre où la division Gudin, au
combat depuis le début de la matinée, s'empare de Taugwite. Le Roi de Prusse
donne alors l'ordre de retraite sur Weimar en la faisant couvrir par sa réserve
qui n'a pas encore été engagée: les divisions Arnim et Kuhnheim, l'ensemble
opérant sous les ordres du général Kalkreuth. Il est 14 heures.
Malgré
les pertes de ses troupes et leur extrême fatigue, Davout, craignant de voir
l'ennemi établir une nouvelle ligne de résistance, poursuit sans relâche son
offensive. Stoppant la contre-attaque prussienne par les tirs de son artillerie
placée sur deux légères éminences, il reprend son avance par les deux ailes,
s'empare d'Eckartsberg, atteint Sulza. A 16 h 30 tout est terminé. L'armée
prussienne est en pleine déroute vers Weimar, où elle va retrouver les restes
des corps d'Hohenlohe et de Grawert, battus le même jour par Napoléon devant
Iéna. La cavalerie de Vialannes poursuit les fuyards jusqu'à Apolda puis
s'arrête, épuisée.
Le
3ème corps, avec 26.000 hommes dont 1.400 cavaliers et 46 canons
sous les ordres du maréchal Davout, a enfoncé une armée de plus de 60.000
hommes dont 9.600 cavaliers et 230 canons, après 9 heures de combats acharnés,
lui prenant 115 canons, lui faisant 3.000 prisonniers mais a 1/3 de son
effectif hors de combat. Cette victoire a été remportée par ses seules forces
et pourtant, Bernadotte, sollicité à plusieurs reprises et qui se trouvait près
d'Apolda à 16 heures, n'est pas intervenu, ni sur Auerstaedt, ni sur Iéna, dont
il entendait pourtant les deux canonnades. Sa défection n'a pas empêché Davout
de vaincre, mais elle a coûté beaucoup d'hommes au 3ème corps.
En engageant leurs batailles, Napoléon et Davout, faute de
renseignements précis, ont commis la même erreur : ils ont cru le gros
de l'armée prussienne entre Weimar et Iéna, le secteur d'Auerstaedt n'étant
occupé que par des effectifs réduits destinés à éviter le mouvement tournant
dévolu au 3ème corps; or, c'est exactement l'inverse qui s'est
produit. L'Empereur n'a eu en face de lui qu'une partie des forces ennemies
couvrant le repli de la plus grosse partie de l'armée à laquelle Davout s'est
heurté. Sa reconnaissance de la veille a permis au maréchal de connaître la
présence des Prussiens, mais non d'en estimer l'importance.
Les
remarquables qualités de chef du maréchal Davout se sont pleinement manifestées
dans cette bataille; connaissant l'allemand, il a étudié les ouvrages de
tactique prussiens et peut ainsi anticiper les manœuvres complexes et lentes,
des unités ennemies en fonction d'une situation donnée, à laquelle il va, en
conséquence, poser sans cesse de nouveaux problèmes grâce à l'efficacité et à
la rapidité de mouvements de troupes qu'il a lui-même formées et entraînées.
Utilisant
de main de maître un terrain vallonné et parsemé de bosquets qu'il a reconnu
personnellement la veille, il ne laisse aucun répit à ses adversaires,
conservant toute la journée l'initiative qu'il a su prendre dès le premier
engagement. Il n'hésite pas à prendre des risques calculés; à partir de 10 h 30
il se bat sans aucune réserve, conscient de tenir ainsi sa seule chance de
vaincre.
Enfin,
sans cesse à la pointe des combats, payant de sa personne, son chapeau enlevé
par un biscaïen qui lui effleure le crâne, les vêtements lacérés, il confirme
dans tous les domaines ses capacités de chef et de soldat.
L'Empereur,
désirant récompenser particulièrement le 3ème corps, décide qu'il
entrera le premier à Berlin, ce qui a lieu le 25 octobre, le maréchal Davout
refusant les clefs qui lui sont présentées car, dit-il, "elles
appartiennent à plus grand que lui".
Le
31 octobre, il est à Francfort-sur-Oder, le 4 novembre à Pösen d'où, après
quelques jours de repos, il gagne Varsovie, déjà occupée par Murat le 30. Le 26
décembre, il se heurte aux Russes et leur enlève Golymin. Les unités prennent
alors leurs quartiers d'hiver et séjournent, partie à Varsovie, partie à
Pultusk.
Fin janvier 1807, l'armée russe, sous les ordres de Bennigsen prend
soudainement l'offensive obligeant les troupes françaises à quitter
prématurément leurs cantonnements. Napoléon pousse ses corps d'armée
pour attaquer l'ennemi qui parvient à se dérober. Enfin, le 7 février, il
trouve l'armée russe prête à la bataille et, pour être certain de la saisir, il
entame le combat, bien que ne disposant que de 46.000 hommes, face aux 80.000
de Bennigsen. A 10 heures du soir, il est maître du village, du château et du
cimetière d'Eylau. Il rappelle Ney qui, sur sa gauche, poursuit les restes de
l'armée prussienne commandés par Lestocq, et Davout qui, à sa droite, a chassé
les Russes de Heilsberg. Le 8, à 7 heures du matin, précédé d'une intense
canonnade, Bennigsen passe à l'attaque. Malgré la résistance de Soult,
l'Empereur risque d'être enveloppé par les masses ennemies quand, vers 9
heures, la division Friant, tête de colonne du 3ème corps, débouche
sur le flanc gauche de l'adversaire. Les trois divisions de Davout sont
rapidement en ligne et, appuyées par la cavalerie légère de Marulaz,
progressent rapidement; Serpallen et Klein-Sausgarten sont pris et, menacé
d'être tourné et de voir ses routes de retraite coupées,
Bennigsen
est obligé de suspendre son offensive, de faire intervenir une partie de ses
réserves pour renforcer sa gauche, de modifier tout son dispositif.
Malgré
tout, la marche en avant du 3ème corps se poursuit et Friant enlève
Anklappen et prend sous le feu de son artillerie la route de Domnau une des
deux voies de repli dont disposent les Russes. Napoléon a exploité cette
situation pour lancer le 7e corps d'Augereau sur le centre ennemi mais, pris
dans une tourmente de neige, désorienté, celui-ci s'est jeté sur la grande
batterie russe et a été pratiquement anéanti; une charge de Murat à la tête de
80 escadrons, a rétabli la situation momentanément car, Lestocq, qui a échappé
à Ney, débouche vers 15 heures avec les restes de l'armée prussienne et, placé
à l'aile gauche, contre-attaque aussitôt. Davout, sous cette poussée nouvelle,
cède un peu de terrain puis parvient à stabiliser ses lignes.
En
fin d'après-midi, Ney arrive, son avant-garde menace les arrières de l'aile
droite russe; risquant l'encerclement, risquant aussi de perdre sa dernière
route de retraite car le 3e corps a repris ses positions perdues, Bennigsen
profite de la nuit pour effectuer sa retraite sans être aperçu.
Après
la sanglante bataille d'Eylau, le 3ème corps occupe divers
cantonnements, ne participe pas à la victoire de Friedland, et se retrouve avec
les autres corps français dans le secteur de Tilsit, où le traité de paix est
signé les 8 et 9 juillet.
Davout reçoit le commandement du duché de Varsovie créé par le traité
et a sous ses ordres, en plus du 3ème corps, les troupes polonaises,
saxonnes, la division de dragons du général Lahoussaye et les deux brigades de
cavalerie de Lasalle. Après avoir remis Tilsit aux Prussiens, il
rassemble ses unités dans le nouveau duché, du 9 au 20 août. Le maréchal se
trouve devant une tâche extrêmement difficile et qui lui est alors parfaitement
inconnue. Si le peuple et la bourgeoisie polonaises se montrent, dans
l'ensemble, très satisfaits de leur demi-indépendance - le duché de Varsovie
dépend du Roi de Saxe - il n'en est pas de même de la haute noblesse; par
ailleurs, la Prusse n'exécute qu'à contre cœur les obligations du traité et
fomente le mécontentement à partir du moindre incident ou en diffusant de
fausses informations; l'Autriche, inquiète pour ses provinces polonaises, joue
un jeu identique, allant jusqu'à opérer des raids au-delà de ses frontières
pour récupérer ses déserteurs. Le Roi de Saxe tardant à venir prendre
possession de son duché, les autorités polonaises mises en place font preuve,
soit d'une parfaite incapacité, soit d'une volonté de contrecarrer le
fonctionnement du nouveau régime. Davout en fait constamment état dans son
courrier avec l'Empereur ou avec le maréchal Berthier, dénonçant la crise
financière qui profite à certains mais ruine le pays, signalant l'impossibilité
d'obtenir les approvisionnements nécessaires, ce qui l'oblige à prendre des
mesures radicales pour ravitailler la population. Il se plaint, en particulier,
des manœuvres douteuses du ministre de la Guerre, le Prince Poniatowski, qui
n'est pas encore rallié à notre cause et qui subit l'influence d'une émigrée,
Madame de Vauban, ainsi que des intrigues menées par un officier autrichien qui
commande sur la frontière et dont le nom deviendra célèbre quelques années plus
tard, le colonel Neipperg. Toutes ces difficultés, le commandant du 3ème
corps les surmonte successivement, démontrant qu'il n'est pas seulement un
grand soldat mais également un excellent administrateur, à la fois énergique et
diplomate.
Le 1er mars 1808, le maréchal Davout est fait, par décret
impérial, Duc d'Auerstaedt, les lettres patentes n'étant signées que
le 2 juillet.
L'année
précédente, il avait bénéficié de deux dotations de Napoléon d'un montant total
de 5.431.238 F.
La guerre d'Espagne a éclaté au printemps de 1808. La situation y
devient de plus en plus difficile depuis la capitulation de Dupont à Baylen et
Napoléon, pour y faire face, doit rappeler d'Allemagne les 1er et 6ème
corps ainsi que plusieurs divisions de cavalerie. Davout reçoit l'ordre de
préparer l'évacuation du duché et de se replier de Varsovie sur Breslau. Le
commandement de la Pologne et de la Silésie lui est confié avec des effectifs
renforcés qui atteignent près de 100.000 hommes. En contact avec la frontière
autrichienne, il ne cesse de prévenir l'Empereur du réarmement de l'Autriche et
de l'esprit belliqueux de toute la population, ce qui irrite Napoléon, qui
croit ou veut faire croire à l'amitié de François II.
Le
12 octobre 1808, un décret impérial prescrit l'évacuation de la Prusse suite
aux entretiens d'Erfüt et les troupes ramenées sur la rive gauche de l'Elbe
prennent le nom d'Armée du Rhin; le commandement en chef est donné au duc
d'Auerstaedt qui a maintenant sous ses ordres l'ensemble des troupes installées
en Allemagne, y compris le corps du maréchal Soult et sauf celui de Bernadotte.
Dès
janvier 1809, l'intention de l'Autriche de risquer l'aventure d'une guerre
parait de plus en plus évidente et l'Empereur commence à s'en alarmer. Il
procède à une réorganisation de l'armée qui sera terminée début avril: les
corps d'armée en Allemagne sont répartis de manière à tenir les principaux
points d'attaque possible, le 3e corps sous Davout étant centré sur Nuremberg.
En attendant de pouvoir prendre lui-même la tête de ses troupes, Napoléon en a
confié le commandement au maréchal Berthier. Le 9 avril, les têtes de colonnes
autrichiennes franchissent l'Inn; la guerre commence.
Remarquable
chef d'Etat-Major, le Prince de Neuchâtel est incapable de commander une armée
en campagne. Conformément aux premiers ordres donnés, Davout a amené le 3ème
corps à Ingolstadt, où un contre-ordre le renvoie à Ratisbonne malgré ses
protestations. A peine y est-il parvenu que Napoléon, qui vient d'arriver à
Donauwerth et s'efforce de réparer les bévues de Berthier, le rappelle à
Neustaedt pour appuyer les Bavarois en retraite. La manœuvre est risquée car,
pendant toute sa marche, Davout va présenter son flanc gauche à l'archiduc
Charles, qui progresse vers le Danube. Les deux divisions de tête: Morand et
Gudin, passent sans encombre, mais les divisions de queue: Friant et
Saint-Hilaire, sont interceptées le 19 avril 1809 à Teugen par les colonnes
autrichiennes; elles ne peuvent les refouler qu'après plusieurs heures d'un dur
combat. Elles tiennent ensuite le terrain pour fixer l'ennemi que l'Empereur
croit peu nombreux, mais qui comprend en réalité 3ème corps d'armée.
Une fois encore, comme à Auerstaedt, Davout se trouve en face du gros des
troupes adverses dans une situation d'infériorité numérique considérable.
Convaincu
qu'il n'a aucune chance de l'emporter en se tenant sur la défensive, il
maintient une pression constante sur les Autrichiens, grignote le terrain,
améliorant ses positions. Pendant ce temps, Napoléon exécute la manœuvre de
Landshut qui coupe l'armée ennemie en deux tronçons, mais échoue dans
l'enveloppement et l'anéantissement de son aile gauche; il réalise toutefois que
les forces les plus importantes n'étaient pas en face de lui, mais se
trouvaient opposées au 3ème corps ainsi que le duc d'Auerstaedt
l'avait signalé, et monte aussitôt une nouvelle manœuvre: celle d'Eckmühl.
Le 22 avril, conformément aux ordres de Napoléon, Davout attaque les
Autrichiens, s'empare d'Ober-Leuchling et d'Unter-Leuchling. A 14
heures, l'Empereur arrive avec les corps de Lannes, renforcés des divisions
Gudin et Morand, et de Masséna; l'assaut est lancé sur Eckmühl fortement
défendue. Une brillante charge des cuirassiers de Saint-Sulpice enlève toute
l'artillerie ennemie et permet à l'infanterie de s'emparer du village. L'ennemi
se replie alors sur Ratisbonne, talonné par toute la cavalerie française.
Cette
bataille, où Davout a joué un rôle prépondérant par son esprit offensif devant
un adversaire très supérieur en nombre et par son habileté à utiliser le
terrain, amène l'ensemble des forces autrichiennes à battre en retraite sur
Vienne de part et d'autre du Danube. Sur la rive droite, Hiller est talonné par
plusieurs corps français commandés directement par Napoléon; sur la rive
gauche, l'archiduc Charles, qui a pu traverser le fleuve à Ratisbonne, est
observé par le 3ème corps. Il s'agit d'empêcher la jonction des deux
tronçons de l'armée ennemie et, pour cela, de se renseigner constamment sur la
position de sa gauche ainsi que d'assurer la garde de tous les ponts en en
prévoyant la destruction s'ils étaient sur le point d'être forcés. Cette
mission, le duc d'Auerstaedt va l'accomplir parfaitement, tout en progressant
vers la capitale autrichienne.
Rappelé
par l'Empereur, qui a franchi le Danube et attaque l'archiduc Charles sur le
terrain Essling-Aspern, Davout arrive en face de l'Ile Lobau dans la nuit du 21
au 22 mai 1809 avec les divisions Gudin et Friant ainsi que les cuirassiers de
Nansouty, prêts à traverser le fleuve à son tour pour soutenir l'action des
troupes engagées. La rupture définitive du grand pont l'empêche d'exécuter
cette manœuvre et impose à Napoléon un repli difficile dans l'Ile. Le 3ème
corps reçoit alors l'ordre de garder Vienne et la rive droite du Danube de
Presbourg à Krems, et d'en interdire le franchissement aux Autrichiens; il doit
également s'efforcer d'assurer le ravitaillement et l'approvisionnement en
matériel et munitions des troupes cantonnées dans l'Ile Lobau, ce qu'il fait en
établissant un va-et-vient de barques.
Le
soir du 22, Davout traverse le fleuve pour participer à un conseil de guerre
qui doit décider de la suite des opérations. Berthier et la plupart de généraux
présents préconisent la retraite derrière Vienne, seuls Masséna et le duc
d'Auerstaedt estiment qu'il faut conserver un esprit offensif et préparer une
nouvelle bataille au-delà du fleuve, opinion également soutenue par l'Empereur
qui va prendre des dispositions pour renforcer son armée et préparer le passage
du fleuve.
Début juin, Davout se porte devant Presbourg avec la division Gudin
pour réduire une tête de pont que les Autrichiens viennent d'établir, opération
difficile car il faut reprendre une à une les îles situées devant la ville.
Puis, à la fin du mois, ayant reçu des obusiers, il procède à un bombardement
systématique de la ville qui est bientôt en feu. Mais une grande bataille se
prépare.
Rappelé
par l'Empereur, Davout rejoint le gros des troupes, et le 5 juillet, se trouve
avec l'ensemble de l'armée dont il constitue l'aile droite, de l'autre côté du
Danube, face aux Autrichiens. Il a ordre de marcher sur Neusield mais est
retardé dans sa progression par les champs de blé enflammés par les boulets
ennemis et qui risquent de faire sauter les caissons. Il s'empare de
Glinzendorf et de Groshofen, franchit le Rüssbach, mais est arrêté devant les
hauteurs qui dominent Neusield la nuit tombant, il se replie derrière le
Rüssbach pour se mettre à l'abri de toute surprise. Appelé au bivouac de
Napoléon qui le retient une partie de la nuit du 5 au 6, il reçoit ses
dernières instructions pour les combats du lendemain. Il a sous ses ordres les
divisions Morand, Friant, Gudin, Puthod, les six régiments de cavalerie légère
de Montbrun, les trois régiments de dragons de Grouchy et les quatre régiments
de cuirassiers d'Arrighi. Le 6, à 4 heures du matin, il est attaqué
soudainement par Rosenberg qui désobéit ainsi aux ordres formels de l'archiduc
Charles qui prescrivent de se tenir sur une stricte défensive. Puthod perd,
puis reprend Groshofen, tandis que Friant et Gudin résistent dans Glinzendorf;
alerté par le canon, l'Empereur vient avec la cavalerie de Nansouty rétablir la
situation. Vers 9 heures, chargé de refouler l'aile gauche autrichienne, il
franchit à nouveau le Rüssbach et fait attaquer les hauteurs de Neusield où est
installé le corps de Rosenberg. Les quatre divisions françaises sont disposées
de telle sorte qu'elles obligent l'adversaire à se battre à la fois de face et
de flanc. Puthod et Gudin de front, Friant et Morand sur le côté. Ce dernier,
qui a devant lui les pentes les plus douces, part le premier, ébranle l'ennemi
que Friant, intervenant à son tour, oblige à reculer. Pendant ce temps, Puthod
s'empare de Neusield après un sanglant combat et Gudin, gravissant les
escarpements, prend pied sur le plateau. Renforcé par Hohenzollern, Rosenberg
tente en vain de résister mais, subissant des attaques dans deux directions,
chargé par les cuirassiers d'Arrighi, il recule pas à pas.
Dès que les fumées de l'artillerie lui ont indiqué que Davout était sur
le plateau, Napoléon a déclenché l'offensive générale. En fin
d'après-midi, les Autrichiens sont en pleine retraite sur toute leur ligne.
L'Empereur a conçu un plan remarquable pour conduire la bataille, il a su
constamment coordonner les mouvements de ses différents corps d'armée, et les
soldats, par leur allant et leur courage, menés par des chefs de grande valeur,
ont su répondre à son appel. La victoire de Wagram en est le résultat. Mais, là
encore, l'action initiale du 3ème corps, dirigé par le duc
d'Auerstaedt, a été primordiale.
L'archiduc
Charles a pu effectuer son repli en ordre et est en mesure de contester sa
défaite; une nouvelle bataille a lieu à Znaim. Davout, lancé sur la route de
Brünn, n'y participe pas. Il prend part au conseil convoqué par Napoléon pour
statuer sur la demande d'armistice proposée par le commandant en chef
autrichien, menacé d'être écrasé entre les armées françaises; il se déclare
partisan de la continuation du combat, ainsi que Masséna, Macdonald et Oudinot.
L'Empereur, d'abord hésitant, se décide à accorder l'arrêt des combats devant
l'ampleur des pertes. Dans la nuit du 11 au 12 juillet, les hostilités sont
officiellement arrêtées.
Le
3ème corps va séjourner à Brünn jusqu'au mois de novembre. Les
unités sont réorganisées, les effectifs complétés, l'entraînement repris, une
sévère discipline maintenue; puis, la paix signée, c'est le repli à travers
l'Autriche. En février 1810, le maréchal rentre enfin à Paris; il assiste à
l'arrivée de Marie-Louise à Compiègne puis aux cérémonies du mariage impérial.
Depuis le 15 août 1809, il était Prince d'Eckmühl.
Le 6 juillet 1810, le maréchal assiste officiellement à la translation
des cendres du duc de Montebello au Panthéon et prononce le discours d'usage au
nom de l'armée. Cumulant les charges de commandant en chef de l'Armée
d'Allemagne, qu'il dirige par correspondance, avec celle de colonel général de
la Garde, il est, tantôt dans sa propriété de Savigny, tantôt il accompagne
l'Empereur dans ses déplacements.
L'Armée d'Allemagne avait pour mission la lutte contre la contrebande,
afin que soit respecté le Blocus continental; ceci va amener Napoléon à annexer
de nouveaux territoires et à étendre l'autorité de son commandant. A
partir de février 1811, elle est transformée peu à peu en corps d'observation
de l'Elbe et aura pris, en octobre, sa forme définitive. Le maréchal Davout
prend son poste à Hambourg le 9 février et à l'automne, il a sous ses ordres
plus de 80. 000 hommes que l'Empereur renforce constamment par l'envoi de
jeunes recrues et de contingents étrangers, espagnols et portugais en
particulier, de manière à disposer d'une avant-garde de près de 150.000 hommes.
Les
tâches du Prince d'Eckmühl sont accablantes. Il lui faut accueillir, équiper,
armer, entraîner les nouveaux contingents, tout en continuant à réprimer
sévèrement la contrebande anglaise, à lutter contre la désertion qui est loin
d'être négligeable et risque de devenir contagieuse, à administrer les
territoires occupés par ses troupes, à s'informer de l'état d'esprit, non
seulement des pays sous son autorité, mais de la Prusse, de la Pologne, de la
Russie. Il s'occupe de tous ces problèmes avec une minutie propre à son
caractère et un souci d'efficacité qui lui vaut parfois quelques rappels à
l'ordre assez vifs de l'Empereur qui, toutefois le plus souvent, lui témoigne
sa satisfaction.
En
novembre 1811, Napoléon, devant la mauvaise foi de la Prusse, demande à Davout
de lui établir un plan d'invasion de ce pays, ce que le maréchal fait dans les
jours qui suivent; ce projet restera sans suite.
Au
mois de février 1812, le Prince d'Eckmühl, sur l'ordre de l'Empereur fait
occuper par Friant la Poméranie suédoise qui viole ouvertement le Blocus. Sur
toutes les frontières, la tension monte et la guerre avec la Russie ne semble
plus pouvoir être évitée. Napoléon procède à un regroupement de ses unités et
constitue "la Grande Armée"; le corps d'observation de l'Elbe devient
le 1er corps d'armée. Celui-ci est, de loin, le plus important de
ces corps, il comprend les divisions d'infanterie: Morand, Friant, Gudin,
Desaix et Compans, ainsi que les brigades de cavalerie légère Bordesoulle et
Pajol, soit un total de 67. 000 hommes. Davout qui le commande a ordre de le
porter sur l'Oder et d'installer son Q. G. à Stettin. Le 6 juin, à Marienbourg,
au cours d'une entrevue avec Napoléon, une discussion extrêmement vive oppose
le Prince d'Eckmühl à Berthier et les rapports, déjà tendus entre les deux
hommes, s'en ressentiront durant toute la campagne. Le 24 juin, le 1er
corps franchit le Niemen, frontière de la Russie, près de Kowno; la guerre
commence.
Le
plan de campagne des Russes est basé sur l'immensité du territoire; il consiste
à refuser tout engagement important, à céder le terrain en pratiquant la
politique de la terre brûlée qui doit
affamer et épuiser une armée française de plus en plus éloignée de ses bases
puis, au moment opportun, déclencher une brutale offensive destinée à chasser
et à détruire un adversaire devenu incapable de réagir. Deux grandes voies de
pénétration permettent de gagner la plaine russe et Moscou; elles seront
obligatoirement suivies par l'envahisseur.
Deux
armées sont donc installées, une sur chaque route, pour contrôler l'avance
ennemie et procéder aux destructions: la 1ère au Nord, sous Barclay-de-Tolly, qui commande
également l'ensemble des opérations, la seconde au Sud, sous les ordres de
Bagration. A chacune des deux ailes, une armée moins importante, dont le rôle
essentiel est d'éviter tout débordement susceptible d'entraîner, soit une
attaque sur le flanc des corps principaux, soit leur encerclement.
Napoléon, qui a disposé ses troupes tout au long de la
frontière, pense pouvoir imposer aux Russes une bataille décisive. Groupant la
plus grande partie de ses forces, il compte bousculer Barclay-de-Tolly, tourner
sa gauche, et l'encercler avec l'aide de Macdonald surgissant du Nord. En même
temps Davout, faisant sauter la charnière tenue par les Cosaques de Platon
entre les deux armées ennemies, débordera Bagration qui, talonné sur ses
arrières par Jérôme, Roi de Westphalie, et pris entre deux feux, sera anéanti.
Ainsi l'Empereur espère, si les deux manœuvres réussissent, détruire l'armée
russe en campagne et, si une seule est couronnée de succès, mettre la moitié de
cette armée hors de combat. Tout, en la circonstance, repose sur la rapidité
des mouvements des unités françaises.
Jusqu'à
Vilna, où Davout pénètre le 28 en devançant l'Empereur de 24 heures, tout
semble se dérouler suivant le plan prévu. Barclay-de-Tolly,
qui se replie sur Drissa, n'a opposé qu'une faible résistance d'arrière-garde.
Malheureusement,
Napoléon doit rester plus de 15 jours pour remettre en place son dispositif,
plusieurs corps s'étant trouvés retardés, en laissant de nombreux traînards sur
les routes. De ce fait, il ne sera plus possible de gagner de vitesse la 1ère
armée ennemie pour tenter de la déborder. Par contre, surpris par la soudaineté
de l'offensive française, le Haut commandement russe, en précipitant la
retraite de ses unités, en a perdu le contrôle et un vide s'est produit entre
Barclay et Bagration. Davout y est lancé pour gagner Minsk avant la 2ème
armée russe et lui barrer la route tandis que, suivant le plan établi, Jérôme
l'attaquera en queue. Le Prince d'Eckmühl quitte Vilna le 30 juin et atteint
Minsk le 8 juillet, mais son corps d'armée a été sensiblement modifié; il a, en
effet, laissé provisoirement à Murat ses trois fameuses divisions: Gudin,
Friant et Morand et n'a plus, comme infanterie, que celle de Desaix et de Compans,
ayant par contre été renforcé par le corps de cavalerie de Grouchy et la
division de cuirassiers Valence. La rapidité de la marche sous la chaleur
lourde de l'été russe avait sensiblement diminué les effectifs du 1er
corps qui, malgré son entraînement poussé et la rigueur de la discipline
imposée par le maréchal, laissait beaucoup de traînards et même de déserteurs
le long de sa route. Napoléon lui envoyait alors en renfort la division
d'infanterie de la Garde, commandée par Claparède, et la brigade de lanciers
Colbert.
Pas davantage que celle prévue contre Barclay-de-Tolly, l'opération
projetée par l'Empereur contre Bagration ne pourra réussir. Davout est
bien en place en temps utile, mais Jérôme, qui n'a aucune des qualités requises
pour un Haut commandement, est incapable d'exécuter la consigne qu'il a reçue.
Passant le Niemen avec plusieurs jours de retard, il marche lentement tout en
épuisant ses troupes par des étapes mal calculées, suivant l'ennemi à distance
au lieu de le talonner, se contenant d'engager sporadiquement de légers partis
de cavalerie contre son arrière-garde, le laissant totalement maître de sa
manœuvre. Le 10 juillet, conscient de l'erreur qu'il a commise en confiant
l'aile droite de l'armée à son frère. Napoléon le place sous le commandement du
Prince d'Eckmühl; blessé dans son orgueil, Jérôme abandonne aussitôt ses
troupes où opèrent les soldats de son royaume. La décision est trop tardive;
n'étant pas poussé vers Minsk, qu'il sait occupé par le 1er corps
français. Bagration a amorcé un large détour pour éviter la ville et s'efforce
de gagner Vitebsk où il pourra se réunir à Barclay-de-Tolly pour couvrir la route de Moscou.
Le 14 juillet, Davout quitte Minsk pour Mohilev, s'en empare le 20
après en avoir chassé la garnison et y trouve des magasins bien approvisionnés que
l'ennemi n'a pas eu le temps de détruire; il veut tenter là une ultime manœuvre
pour empêcher la jonction des armées russes. Surpris par la rapidité de la
marche russe dont les colonnes de tête sont au contact dès le 21, conscient de
sa très nette infériorité numérique - ses unités ayant dû être réparties sur un
vaste secteur pour tenir toute la ligne du Dniepr - le maréchal fortifie les
deux ponts pour les interdire à Bagration et fait choix d'un secteur encaissé où
les Russes ne pourront se déployer et effectuer une attaque massive. Le 23
juillet, l'assaut est déclenché, mais l'ennemi se trouvant limité à engager
successivement des effectifs réduits sans être en mesure de les appuyer
efficacement par sa cavalerie en raison de la configuration du terrain, ne peut
percer et, après 9 heures d'un très dur combat, se retire. La route de Vitebsk
lui est coupée et il doit faire un nouveau crochet vers l'Est pour retrouver Barclay-de-Tolly à Smolensk.
Napoléon,
qui poursuit toujours l'armée russe pour lui livrer bataille, la voit sans
cesse se dérober. Il semble pourtant qu'elle va accepter le combat à Smolensk
car les engagements avec son arrière-garde sont de plus en plus violents et
elle prend même à Inkowo l'initiative d'une contre-offensive qui échoue.
Pour engager l'action sur Smolensk, l'Empereur a rappelé Davout qui
retrouve ses divisions Friant, Gudin et Morand et qui, placé au centre du
dispositif, participe à la conquête des faubourgs le 17 août, mais
l'attaque est bloquée devant les murailles que l'artillerie ne peut détruire.
Bagration s'était replié avant le début de l'attaque et Barclay avait, seul,
défendu la ville qu'il abandonna au milieu de la nuit en y mettant le feu. Au
matin du 18, les Français étonnés de la disparition de l'ennemi, occupent
Smolensk en flammes. Dès le lendemain, la poursuite reprend.
Après
Valoutina, où Gudin est blessé mortellement à la tête de sa division qui avait
été détachée du 1er corps, l'avant-garde est confiée à Murat et à Davout;
la mésentente ne cesse de grandir entre les deux hommes, elle atteint même un
tel degré de violence que le Roi de Naples veut envoyer cartel au Prince
d'Eckmühl.
Finalement,
l'Empereur mis au courant, donne raison à son beau-frère et blâme le maréchal.
Désireux de ménager ses soldats et ses munitions, celui-ci s'oppose aux
attaques inconsidérées de Murat qui, engagé trop légèrement, a vu à deux
reprises des unités du 1er corps refuser d'obéir à ses ordres pour
le dégager.
Le
5 septembre, les avant-gardes françaises trouvent enfin l'armée russe toute
entière, faisant front, appuyée sur le village de Borodino. A 16 heures, Murat,
appuyé par la division Compans, enlève au prix de lourdes pertes, le hameau et
la redoute de Schwardino. Après une reconnaissance des lignes ennemies,
Napoléon réunit un conseil de guerre pour arrêter les opérations du lendemain.
Davout
qui a, lui aussi, parcouru les avant-postes et qui doit combattre l'aile
gauche, propose d'opérer avec son corps un large mouvement tournant pour la
bousculer et l'envelopper. Malgré l'insistance du maréchal, l'Empereur déclare
le mouvement trop risqué; seule, une manœuvre de faible envergure sera tentée
par Poniatowski qui ne dispose d'ailleurs que de peu de moyens. La journée du 6
est employée à la mise en place des unités françaises tandis que les Russes,
solidement installés sur de très solides positions, restent immobiles.
A l'aube du 7, alors que l'artillerie se déchaîne, Ney et Davout se
lancent à l'assaut des trois flèches de Semenovskoie. Le Prince
d'Eckmühl est blessé une première fois au bras par un biscaïen alors qu'il
avait pris la tête de la division Compans dont le chef venait d'être également
blessé. Les flèches enlevées, les troupes se portent à l'attaque de la grande
redoute. Un boulet renverse alors le cheval de Davout, qui est lui-même blessé
au bas ventre. La douleur est si vive qu'il s'évanouit et le bruit de sa mort
court dans les rangs. Peu de temps après, revenu à lui, il reprend son
commandement, mais la souffrance est trop grande et il doit le céder à Murat
envoyé par Napoléon.
Tout
au long de la journée, la bataille se poursuit, acharnée. Lorsqu'elle cesse, le
soir, les pertes sont énormes de part et d'autre et pour de bien piètres
résultats: Kutusof, qui avait reçu du Tsar le commandement en chef pour livrer
combat à la place de Barclay, a pu ramener ses troupes bien groupées, ne cédant
que 2.000 mètres de terrain. Dans la nuit, les Russes décrochent, se replient
sur Moscou dont le chemin leur est resté ouvert. La poursuite est engagée le 8
à 10 heures; Murat commande l'avant-garde que Davout, incapable de monter à
cheval, accompagne dans une voiture légère. C'est ainsi qu'il entre à Moscou le
16 septembre. Rétabli, il quitte la capitale russe le 19 octobre, à la tête du
1er corps. La grande retraite est commencée. Le 24, Eugène, qui
ouvre la marche et vient d'occuper Malo Iaroslavetz, est attaqué par des forces
supérieures commandées par Doctorov. La ville est perdue, puis reprise,
changeant 7 fois de mains au cours de la journée. Renforcés par le corps de
Rajewski, les Russes sont sur le point d'enlever la décision, malgré la
résistance acharnée du 4ème corps, quand Davout fait intervenir ses
divisions de tête Compans et Gérard, qui surgissent sur la droite ennemie et, menaçant
de la tourner, l'oblige à la retraite et ouvre le passage. Le lendemain,
l'Empereur réunit ses chefs de corps pour décider de la conduite à tenir. A
nouveau, une très violente algarade éclate entre le Prince d'Eckmühl, partisan
de gagner Smolensk par le Sud, et le Roi de Naples, qui préconise de rejoindre
Mojaïsk où l'on pourra reprendre, en sens inverse, la route suivie à l'aller.
Davout s'y oppose, faisant valoir qu'ainsi, on va emprunter un chemin dévasté,
dépourvu de ravitaillement, alors que l'itinéraire qu'il proposait, traversant
des régions intactes était, de surcroît, plus court. Napoléon réserve sa
décision, puis la fait connaître le soir: retraite sur Mojaïsk, le 1er
corps constituant l'arrière-garde.
A partir de cette dernière ville, le 1er corps, harcelé par
les Cosaques, obligé de s'arrêter constamment pour leur faire face, ne
progresse que lentement.
Pour
éviter un hiatus entre ses unités, l'Empereur doit freiner ses autres corps et
s'en prend à Davout. Par sa lettre du 28 octobre au Prince de Neuchâtel, ce
dernier répond et se plaint des destructions opérées par les corps qui le
précèdent le laissant sans ressource. Le 3 novembre, au moment d'atteindre
Viazma que garde Ney, il est attaqué sur sa gauche ainsi que le vice-Roi qui le
précède par Miloradowitch accompagné des Cosaques de Platov et appuyé par une
forte artillerie. Menacés de se voir couper la route, les deux commandants de
corps français, conjuguant leurs efforts et soutenus par un régiment de Ney,
parviennent à gagner la ville mais subissent de très lourdes pertes.
Le
11 novembre, le 1er corps atteint Smolensk, précédant le maréchal
Ney qui l'a relevé à l'arrière-garde. Il en repart le 16, devançant le duc
d'Elchingen d'une journée et suivant lui-même, à 24 heures d'intervalle,
l'Empereur et le vice-Roi. Le thermomètre est descendu à - 26° Celsius, la
route est couverte de neige glacée rendant la marche extrêmement pénible.
Vitebsk étant tombée, il faut chercher un passage au Sud par Krasnoë et
Borisov. En avant de Krasnoë, le corps de Miloradowitch barre la route au
défilé de Losmina. Eugène parvient à passer en sacrifiant la division Broussier
et fait prévenir Davout. Ce dernier, qui n'a plus d'artillerie - 400 canons
ayant été abandonnés lors de l'évacuation de Smolensk et l'Empereur ayant
rassemblé à l'avant-garde toutes les pièces qui restaient - conformément à son
habitude, décide de prendre l'initiative. Formés en carré, ses bataillons
repoussent d'abord les charges de la cavalerie russe, mais la nombreuse
artillerie ennemie, qui ne peut être contrebattue, éclaircit leurs rangs
lorsque la division Morand attaque vigoureusement et, suivie de tout le corps
d'armée, perce les lignes adverses et rejoint Napoléon qui montait une
opération pour dégager le passage en avant de Krasnoë.
Le
1er corps reste seul dans la ville attendant l'arrivée de Ney qui
ferme la marche, tandis que l'Empereur conduit les autres troupes vers Borison
pour tenir solidement un passage sur la Bérésina car l'armée est menacée
d'encerclement par Tchittchakov qui arrive du Sud et Wittgenstein qui descend
du Nord. Sans possibilité de communication avec le duc d'Elchingen, ne
disposant plus que des restes de trois divisions décimées et sans artillerie
représentant moins de 5. 000 combattants, pressé par Tormassof et par
Miloradowitch, menacé de voir sa route de retraite coupée, subissant un
bombardement auquel il ne peut répondre, Davout, après de longues heures
d'attente, abandonne la ville pour rejoindre Napoléon le 19 à Orcha. Ney
n'avait d'ailleurs pas atteint Krasnoë, trouvant à son tour la route coupée au
défilé de Losmina et, n'ayant pas les moyens de forcer le passage vers la
ville, il avait effectué un changement de front vers le Nord et réalisé une
magnifique et héroïque percée dans cette direction, ce qui lui permet, alors
qu'on le croyait perdu, de rejoindre à son tour Orcha. L'Empereur reproche
vivement au Prince d'Eckmühl de ne pas avoir attendu l'arrière-garde; les
ordres qu'il lui avait données précisaient alors, seulement, "d'attendre
le temps qu'il jugerait convenable". Ney s'en prend aussi à Davout lui
reprochant de l'avoir abandonné; ignorant les situations respectives où ils
s'étaient trouvés, les deux maréchaux ne pouvaient se comprendre.
Le 5 décembre, à Smorgoni, Napoléon pouvant croire à bon droit que son
armée est tirée d'affaire depuis le passage de la Bérésina, fait ses adieux aux
maréchaux avant de regagner Paris. Il se montre particulièrement
amical envers Davout, lui demandant pourquoi il ne le voyait plus. Le maréchal,
qui avait été malmené pendant toute la campagne, répondit qu'il croyait lui
déplaire. Le lendemain, l'Empereur partait laissant le commandement au Roi de
Naples, avec Berthier comme chef d'État-Major.
Le
17 décembre, à Gumbinnen, Murat, démoralisé et craignant pour son royaume,
annonce aux chefs des grandes unités qu'il quitte l'armée. Il le fait dans des
termes tels - traitant l'Empereur "d'insensé" - que Davout réplique
avec violence, lui faisant remarquer son ingratitude car, lui dit-il "vous
n'êtes Roi que par la grâce de Napoléon et du sang français". Le 12
janvier 1813, le Roi de Naples passe le commandement à Eugène et regagne sa
capitale.
De Paris, l'Empereur va reconstituer une armée pour reprendre
l'offensive et, le 16 avril, le Prince d'Eckmühl reçoit le commandement de la
32ème division militaire avec siège à Hambourg. Un
senatus-consulte du 10 avril a suspendu le régime constitutionnel dans tout le
secteur et donne pleins pouvoirs à son commandant en chef. Dans les semaines
suivantes, des instructions successives, dont une par lettre chiffrée, d'une
extrême sévérité, parviennent à Davout qui s'efforcera de les adoucir, se
montrant très dur en paroles pour effrayer la population et ne pas avoir besoin
de sévir. Le 1er juillet, le 13ème corps, nouvellement
constitué, est placé sous son autorité; il comprend, en sus des unités
françaises, une division danoise commandée par le Prince de Hesse.
Les hostilités reprenant et la Prusse s'étant rangée dans le camp
ennemi, Napoléon monte une offensive dont l'objectif est Berlin. Le
13ème corps a pour mission de menacer et de contenir les troupes adverses se
trouvant dans le Nord de l'Allemagne, puis d'appuyer l'action des forces
françaises lorsqu'elles arriveraient devant la capitale prussienne. Le 17 août
1813, Davout entame les hostilités et atteint Wismar et Schwerin quelques jours
plus tard; mais l'entrée en guerre de l'Autriche oblige l'Empereur à modifier
son plan; sa campagne commencée victorieusement tourne court, l'éparpillement
de ses forces, nécessité par la nouvelle situation, entraîne les défaites des
chefs de corps livrés à eux-mêmes. Oudinot, battu à Grossbeeren, est en
retraite; Vandamme est capturé à Kulm, et Davout, resté en l'air, doit se
replier méthodiquement sur Hambourg. Dès ce moment, il ne reçoit plus de
communications du grand Q.G. et se trouve livré à lui-même. Il fait fortifier
la ville qui ne comporte pas de défense, ainsi que Harbourg, et établit une
solide liaison entre les deux cités, emmagasine pour 9 mois de vivres et doit
chasser une partie de la population sur la ville neutre d'Altona; malgré ses
injonctions elle n'avait pas, en effet, acquis les aliments lui permettant de
passer l'hiver. Enfin, devant la carence des notables et des commerçants à régler
les contributions qu'il a fixées, conformément aux lois de la guerre et aux
ordres de l'Empereur, il fait saisir et mettre sous séquestre la banque de
Hambourg afin d'assurer les besoins de la défense. Tout cela lui sera reproché
plus tard, ainsi que la destruction des maisons construites sur les glacis,
opération indispensable pour dégager les champs de tir et éviter les
infiltrations de l'ennemi. Il tient ainsi tout l'hiver repoussant toutes les
attaques d'un adversaire bien supérieur en nombre et en moyens et, au
printemps, il pousse même plusieurs attaques destinées à se donner de l'air et
à procurer du fourrage aux chevaux.
Au mois d'avril 1814, Beningsen qui dirige le siège, lui apprend
l'abdication de Napoléon et lui demande de se rallier à Louis XVIII, ce
qu'il refuse d'admettre car il n'est pas normal, répond-il, de recevoir de
telles informations par le canal de l'ennemi. Il demande l'envoi d'un de ses
généraux à Paris pour recevoir les instructions du gouvernement français. Des
pourparlers difficiles s'engagent à ce sujet. Beningsen exigeant la
capitulation de la ville pour délivrer le passeport nécessaire au voyage à
Paris, ce qu'évidemment, Davout refuse.
Pendant
ce temps, prétextant un armistice tacite, les Russes, appuyés par des
canonnières anglaises, tentent de refouler nos avant-postes sous le couvert de
drapeaux blancs; le maréchal fait alors ouvrir le feu pour protéger ses
positions, ce qui constituera un des griefs retenus contre lui.
Le 28 avril, il reçoit une lettre de la maréchale, apportée par son
cousin, qui lui confirme le changement de régime. Le lendemain, il fait flotter
le drapeau blanc et annonce les événements à la troupe; le 30 avril,
il expédie une adresse au Roi, au nom des généraux sous ses ordres, accompagnée
de protestations de fidélité de tous les corps et administrations civiles se
trouvant à Hambourg. Le 11 mai, il cède son commandement au général Gérard,
désigné par le comte d'Artois pour le remplacer, et regagne Paris pour
apprendre qu'il doit s'éloigner de la capitale jusqu'à ce qu'il se soit
justifié des inculpations portées contre lui et que nous avons indiquées. Il se
rend dans sa propriété de Savigny où il rédige son Mémoire au Roi pour
justifier sa conduite et réfuter les accusations calomnieuses dont il est l'objet.
Il n'en continuera pas moins à être tenu à l'écart pendant toute la Première
Restauration, malgré les interventions auprès de Louis XVIII d'Oudinot, délégué
par le corps des maréchaux, et de Ney qui, bien en cour, oublie là le
dissentiment qui l'oppose au Prince d'Eckmühl depuis la Retraite de Russie.
Le
20 mars 1815, Davout se rend aux Tuileries vers 9 heures du matin. L'Empereur
l'accueille chaleureusement et l'entretient pendant plusieurs heures de ses
projets, de la composition de son ministère,
pour lui offrir finalement d'y prendre la Guerre. Etant le seul des maréchaux à
n'avoir pas prêté serment à Louis XVIII, il jouit, auprès de l'Empereur et des
Bonapartistes, d'une extraordinaire popularité qui le désigne, sans conteste,
pour ce poste. Il refuse néanmoins, prétextant son peu d'aptitude pour de
telles fonctions et demande un commandement n'arrivant pas à le fléchir,
Napoléon lui révèle alors que l'accord avec l'Empereur d'Autriche ainsi que la
venue de l'Impératrice et du Roi de Rome, ne sont que de faux bruits
nécessaires pour éviter toute inquiétude parmi la population, mais qu'en
réalité il se trouve seul en face de l'Europe. Le maréchal, estimant que dans
ces conditions il ne peut refuser son concours, accepte le ministère.
Il
y accomplit un travail considérable car tout est à faire et le temps presse:
reconstitution de l'armée terriblement amoindrie sous la Restauration, mise en
place des unités à la garde des frontières, constitution de stocks de vivres et
d'armement, lutte contre les soulèvements royalistes dans l'Ouest et le Midi,
réorganisation du commandement, etc. Il s'oppose à la nomination du général de
Bourmont, en qui il n'a pas confiance, et ne s'incline que sur un ordre formel
de l'Empereur. Ce dernier, influencé par certains membres de son entourage qui
n'aiment pas le maréchal, lui adresse des lettres pleines de critiques et de
reproches immérités, obligeant à chaque fois Davout à rectifier les faits qui
lui sont imputés. Le maréchal doit aussi rappeler à l'ordre Soult, nommé
major-général de l'armée à la place de Berthier, qui donne des ordres aux chefs
de corps sans en référer au ministre de la Guerre, alors que les armées ne sont
pas en campagne, seul moment où il aura autorité directe sur les unités au
combat.
Davout
doit aussi, sans cesse, renouveler ses instructions aux généraux, et
particulièrement à ceux commandant dans l'Ouest et qui n'agissent qu'avec mollesse,
parfois en opposition avec les directives qu'ils ont reçues, et tout ceci
alourdit sensiblement une tâche déjà écrasante grâce à laquelle, en moins de
trois mois, l'armée sera prête à combattre.
Le 21 juin, quelques heures avant l'arrivée de l'Empereur, Davout
apprend la défaite de Waterloo sans en connaître l'ampleur. Un Conseil
des ministres, présidé par Napoléon, se tient durant lequel le ministre de la
Guerre préconise la prorogation des Chambres, mesure parfaitement légale, qu'il
faut prendre d'urgence avant que les parlementaires informés puissent se
déclarer en permanence. L'indécision de l'Empereur permet à la Chambre des
Représentants de devancer le Gouvernement et, dès lors, seule une épreuve de
force permettrait de briser son opposition. Davout s'en déclare formellement
adversaire, les conditions n'étant pas celles du 18 Brumaire; de toute manière,
il ne participerait pas à une telle action. Les événements vont alors se
précipiter: abdication de Napoléon, formation d'une Commission de Gouvernement
présidée par Fouché. Celle-ci s'inquiétait des manifestations incessantes de
fidélité qui se déroulaient devant l'Elysée, où l'Empereur séjournait toujours.
Par ailleurs, désirant entamer des négociations avec les coalisés, il était à
craindre que la présence impériale au cœur de la capitale, fasse douter de la
réalité de l'abdication. Chargé de demander à Napoléon de quitter Paris pour la
Malmaison, Davout voulut confier cette mission à Flahaut qui était
particulièrement en faveur auprès de l'Empereur, ce qui aurait donc évité de le
blesser; il se heurte à un refus brutal. Gagnant alors lui-même l'Elysée, le
maréchal harangue les nombreux officiers qui, délaissant leurs troupes,
s'étaient massés aux abords du Palais et leur enjoignit de rejoindre leurs
postes; après quoi, il exposa à Napoléon les motifs de sa visite que celui-ci
accepta comme un ultime service à rendre à la Patrie. L'entrevue avait été
froide,
la
séparation des deux hommes le fut plus encore.
Depuis
le 20 mars, le ministre de la Guerre avait fait travailler activement pour
fortifier la capitale mais, dans ce court laps de temps, il n'avait été
possible d'établir des défenses solides que sur la rive droite de la Seine. Les
restes de l'armée: le corps de Grouchy, s'étaient reformés devant la ville sous
les ordres du Prince d'Eckmühl. Les troupes s'étaient ressaisies après le
désarroi qui avait suivi Waterloo et manifestaient une vive impatience de se
battre et d'infliger à l'ennemi une cuisante défaite. Davout, convaincu que la
seule solution possible pour sauver le pays était désormais la reconnaissance
de Louis XVIII, avait écrit à Fouché en ce sens, mais en précisant que le Roi
devait venir très vite, devançant ainsi les troupes étrangères, mais il prend
en même temps toutes dispositions pour défendre Paris s'il en reçoit l'ordre.
Cette bataille, il ne la souhaite pas car il sait qu'elle ne sera, en cas de
victoire, qu'un prélude à d'autres combats, sans espoir cette fois, contre les
forces considérables qui débouchent de toutes nos frontières. Tout en
poursuivant les négociations, il prend l'offensive sur Issy afin de montrer aux
adversaires que l'armée française est parfaitement capable de défendre la
capitale et les amener ainsi à accepter des conditions honorables pour la
capitulation de Paris. La convention est signée le 3 juillet; le maréchal
reçoit l'ordre de conduire les troupes sur la rive gauche de la Loire.
Sous la Seconde Restauration
(1815-1823)
Alors
qu'il exerce son commandement à Bourges, il prend connaissance d'une liste de
maréchaux et généraux dont les uns doivent être traduits en conseil de Guerre,
les autres, astreints à résidence surveillée, en attendant mieux. Le 27 juillet,
il adresse à Gouvion Saint-Cyr, qui l'a remplacé au ministère de la Guerre, une
lettre d'une haute valeur morale dans laquelle il précise que tous ces
officiers et généraux n'ont agi que sur ses ordres, et il demande à être jugé à
leur place. Le 14, il avait adressé au Roi sa soumission et celle de l'armée.
Sa démission, qu'il avait offerte, est acceptée le 1er août.
Le
5 décembre, témoin au procès du maréchal Ney, il précise qu'il n'aurait pas
laissé signer la convention du 3 juillet si les dispositions de l'article 12,
qu'il avait fait insérer et qui garantissaient que personne ne pourrait être
recherché, "soit en raison des emplois qu'ils occupent ou ont occupés ou
de leur conduite ou opinion politique", n'étaient pas acceptées. Il
précise même, qu'en cas de refus, il aurait livré bataille. Le Procureur
général l'interrompt en déclarant que le Roi n'étant pas signataire de la
convention, elle ne pourrait lui être opposée.
Cette
position avait soulevé la colère des Royalistes et, le 27 décembre, une ordonnance
royale privait le maréchal de son traitement et l'exilait à Louviers.
La
situation financière devenait très difficile car il avait déjà perdu ses
dotations d'Allemagne, d'Italie et de Pologne. La maréchale, restée à Savigny,
doit alors louer leur hôtel de Paris et vendre l'argenterie tandis que
lui-même, avec un seul domestique, dans un modeste appartement, limite à 3, 50
F sa dépense quotidienne. Il lui faudra attendre plus d'un an pour prêter
serment à Louis XVIII qui lui remet alors son bâton de maréchal. Nommé le 11
février 1819 Chevalier de Saint-Louis, il est appelé le 5 mars à la Chambre des
Pairs; il y siège parmi les Libéraux et y prend la défense de l'armée, de ses
anciens camarades. Le 19 août 1821, il perd sa fille aînée, la comtesse Vigier,
des suites de couches. Il en éprouve un immense chagrin qui aggrave son état de
santé déjà déficient.
Atteint
aux poumons, il doit quitter Savigny trop humide et trop froid, pour Paris où il
s'éteint le 1er juin 1823, après une longue et douloureuse agonie stoïquement
supportée. Le 4 juin, ses obsèques sont célébrées en présence des maréchaux
présents à Paris, d'un grand nombre de généraux, d'officiers, de membres des
deux Chambres, mais la famille royale n'est pas représentée. Il avait été
interdit aux soldats des Invalides d'assister à la cérémonie, sous peine de
renvoi, mais beaucoup désobéirent et la maréchale dut intervenir pour que cette
mesure ne leur soit pas appliquée. Le maréchal Jourdan prononça l'éloge funèbre
au nom de l'armée, et le 8, le maréchal Suchet fit de même à la Chambre des
Pairs. Le maréchal Davout, duc d'Auerstaedt, Prince d'Eckmühl, repose au
cimetière du Père-Lachaise.
Revue : Revue
du Souvenir Napoléonien
Numéro : 303
Mois : janvier
Année : 1979
Pages : 4-20