Davout, sous la révolution.
Sa jeunesse
Louis-Nicolas
d'Avout, est né le 10 mai 1770 à Annoux (Yonne), dans
une modeste maison de campagne louée par son père, Jean-François, lieutenant à Royal-Champagne.
Quelques mois plus tard, la famille s'installe à Etivey, à une dizaine de
kilomètres. Là, le jeune Nicolas vivra comme les petits paysans, partageant
leurs jeux, apprenant à lire et à écrire.
Le 3 mars 1779, Jean-François d'Avout
meurt des suites d'un accident de chasse.
Sa femme se retrouve seule à Etivey
avec quatre enfants dont l'aîné, Louis-Nicolas, n'a
pas encore neuf ans, dans une situation financière difficile et à laquelle elle
est mal préparée. Elle se rend souvent chez sa mère, à Avallon,
pour
y trouver réconfort et conseils; Louis-Nicolas l'accompagne et conservera
toujours de sa grand-mère, femme remarquable, un souvenir ému. Il y prépare son
entrée à l'Ecole Royale Militaire d'Auxerre, où il est admis comme pensionnaire
du Roi le 31 décembre 1779. Notons, à ce sujet, que contrairement aux dires de
certains historiens et à l'indication figurant à l'entrée de l'Ecole de
Brienne, il n'a jamais été élève de cet établissement.
Son éducation
L'Ecole
Royale Militaire d'Auxerre était tenue par les Bénédictins de Saint-Maur dont
les méthodes d'éducation se révèlent particulièrement modernes: place
importante donnée aux mathématiques comme formatrice de raisonnement,
enseignement de l'allemand et de l'anglais, quatre heures d'exercices physiques
chaque jour, etc. Il s'agit davantage de préparer l'esprit des élèves à aborder
et à comprendre les problèmes qu'ils auront à résoudre plus tard qu'à leur
faire emmagasiner des connaissances abstraites et souvent fastidieuses.
Louis-Nicolas,
habitué à une vie de liberté, se plie mal à la sévère discipline de l'école et
son caractère difficile, violent même, ne lui attire pas les sympathies de ses
professeurs; seul Dom Laporte, le sous-principal, s'intéresse à lui. Ses études
sont sans éclat et, en six ans de scolarité, il n'obtient que deux nominations
en mathématiques. Il semble aussi avoir été passionné par l'Histoire, si on en
juge par le cahier de près de 400 pages qu'il a laissé et où figurent, à côté
de résumés, ses observations et commentaires lapidaires mais précis et
judicieux. Curieusement, les religieux ont choisi les oeuvres de Voltaire pour
enseigner cette discipline.
Le 27 septembre 1785, Louis-Nicolas d'Avout entre à l'Ecole Royale
Militaire de Paris en qualité de cadet-gentilhomme. Bonaparte, qui
avait quitté cette école le 1er septembre, n'a donc pu l'y rencontrer,
contrairement à certaines affirmations. Nous n'avons que peu de renseignements
certains sur le séjour de d'Avout à l'école; subsiste, toutefois, son cahier de
notes prises pendant le cours d'Histoire. Nommé sous-lieutenant le 2 février
1787, il quitte l'école le 19 pour rejoindre son régiment Royal-Champagne
Cavalerie, où ont servi son père et son oncle et qui est en garnison à Hesdin
(Pas-de-Calais). Son cousin germain, François-Claude d'Avout, au régiment
depuis un an, est chargé de l'initier aux différentes manœuvres et évolutions
et, assez curieusement, il note que son élève "montre peu de moyens et de
bonne volonté pour l'état militaire" et il ajoute qu'il s'occupe davantage
de la lecture de Voltaire et de Rousseau que des ouvrages nécessaires à sa
formation d'officier.
Louis-Nicolas
passe ses congés au château de Ravières, que sa mère avait acheté en 1785. Il y
rencontre un jeune avocat aux idées avancées, de quelques années son aîné,
Turreau de Linières, qui deviendra maire de Ravières, député de la Convention
où il votera la mort du Roi, représentant du peuple aux armées et avec qui il
se lie d'amitié. Turreau exerce une incontestable influence sur son jeune ami
qui rêve déjà d'une transformation profonde de la société, et ceci s'explique
la part importante que Davout - il signe ainsi désormais - prend à la mutinerie
de son régiment.
La
sédition d'une majorité des sous-officiers et cavaliers de Royal-Champagne
avait débuté en avril 1790 et, d'incidents en incidents, allait se prolonger
durant plusieurs mois. Sous les prétextes les plus divers la tension ne cesse
de croître et les officiers se montrent incapables de rétablir la discipline.
L'un d'eux, d'ailleurs, a pris la tête des révoltés, le sous-lieutenant Davout
qui, tantôt les encourage par la violence de ses paroles, tantôt les calme par
ses conseils de prudence et de modération. En fait, prenant tous les risques,
il manœuvre pour faire triompher les idées révolutionnaires qui sont alors les
siennes. Le 10 juillet, il obtient une permission de deux jours; il ne
rejoindra son régiment que le 18 août. Il est parti pour Paris plaider la cause
des rebelles. Le 5 août, il est à la tribune des Jacobins au côté de Robespierre.
Le 7 août, l'Assemblée Nationale décrète, au sujet de Royal-Champagne,
"que le Roi devra être supplié d'employer les moyens les plus efficaces
pour arrêter le désordre". Le 18, de retour à Hesdin, Davout est
immédiatement arrêté et, le 20 mis au secret à la prison d'Arras; le même jour,
Mirabeau et Dubois-Grancé à la tribune de l'Assemblée appuient la thèse des
mutins baptisés: "patriotes". Le 2 octobre, Davout est remis en
liberté, sans que nous soyons informés des raisons de cette décision, sans doute
à la suite d'interventions politiques auprès du ministre de la Guerre
auxquelles Turreau ne serait pas étranger. Il sollicite alors un congé et se
rend à Ravières. Il y retrouve Turreau devenu son beau-père, Madame Davout
s'étant remariée avec l'ami de son fils malgré la grande différence d'âge,
union qui s'achèvera quatre années plus tard par un divorce.
C'est
sans doute grâce à lui qu'il se trouve, dès cette époque, en relation avec les
têtes politiques du département de l'Yonne: Bourbotte, Maure - maire d'Auxerre
- Le Peletier de Saint Fargeau, Gautherot, tous révolutionnaires ardents dont
les propos ne peuvent que renforcer ses propres convictions.
Le métier des armes
Le
22 septembre 1791, Davout est élu lieutenant-colonel en second du 3ème
bataillon de volontaires de l'Yonne, après avoir démissionné, quelques
jours plus tôt, de Royal-Champagne. Le 8 novembre, il se marie avec
Marie-Nicolle-Adélaïde Séguenot; après une courte lune de miel, il rejoint son
bataillon à Joigny avant de faire mouvement, courant décembre, pour Dormans.
C'est là que va se faire l'instruction des volontaires, enthousiastes mais
indisciplinés et qui ignorent tout du métier militaire. Davout, à qui incombe,
entre autres choses, le maintien de l'ordre, rencontre, dans ce domaine, de
sérieuses difficultés. Début avril 1792, il doit s'interposer entre les hommes
qui voulaient massacrer sept prisonniers, dont Mgr de Castellane évêque de
Mende, décrétés d'accusation par l'Assemblée Nationale, et l'auberge où ils
sont enfermés; il est mis en joue mais, haranguant la troupe et ne cédant rien,
il rétablit la discipline avec fermeté, sauvant ainsi les détenus. Il écrit
fréquemment aux administrateurs du département de l'Yonne, signalant les
déplacements du bataillon qui quitte Dormans pour Verdun le 22 avril, les faits
susceptibles de les intéresser,
réclamant
des renforts, faisant état de ses sentiments républicains mais répudiant la
violence.
Après
avoir séjourné à Sedan, puis à La Chapelle, le bataillon est dirigé sur le camp
de Maulde où il est chargé d'assurer les communications entre Condé et
Valenciennes, face à l'ennemi. Après quelques escarmouches destinées à aguerrir
les hommes, Davout les mène brillamment à la conquête de l'Hermitage de
Peruwelz, le 24 octobre, opération qui prélude à l'attaque de Dumouriez sur
Jemmapes.
En septembre 1792, par suite de la démission du lieutenant-colonel de
Bois, il prend le commandement du 3ème bataillon qui, sous ses
ordres, se distingue à Neerwinden, où il opère à l'aile gauche
française sous Miranda. Cette défaite, qui entraîne l'évacuation des Pays-Bas,
va être un élément déterminant de la trahison de Dumouriez. Parfaitement
informé, Davout intercepte le général en Chef alors qu'il fait mouvement de
Saint Amand vers Condé. Dumouriez et les cavaliers qui l'accompagnent
parviennent, sous le tir des fantassins du 3e bataillon, à s'échapper et à se
réfugier dans les lignes ennemies. La Convention décrète que le 3ème
bataillon de l'Yonne a bien mérité de la Patrie et, le 1er mai,
Davout
est nommé chef de demi-brigade, ayant sous ses ordres le 3ème
bataillon de l'Yonne, le 3ème bataillon de l'Aube et le 2ème
bataillon du 104ème d'infanterie.
Ce
même mois, il participe aux actions offensives cherchant à débloquer Condé,
puis à celles, défensives, du camp de Famars.
En
Vendée, la situation devient critique pour les troupes républicaines qui vont
de défaites en défaites; il faut, pour redresser la situation, prélever des
troupes sur les autres armées et désigner des généraux capables pour les
commander. Le 8 juillet, Davout est nommé adjudant-général chef de brigade et
envoyé à l'Armée des Côtes de La Rochelle; sa désignation est signée de
Bourbotte, de Turreau, ses amis de l'Yonne qui viennent d'accéder à des postes
importants. Le 17, il gagne son poste à Vihiers où il prend la tête d'un petit
corps de cavalerie, son arme d'origine. Le lendemain, les Vendéens attaquent en
masse, inopinément. Surpris, les Républicains se débandent et Santerre, le
brasseur devenu général, est incapable de rétablir l'ordre. Davout charge alors
vigoureusement avec ses escadrons, permettant ainsi d'organiser la retraite. Ce
fait d'armes lui vaut d'être nommé général de division, mais il refuse ce grade
et donne sa démission, sous prétexte qu'il a été noble; il évite de cette manière
l'exclusion qu'un décret, en préparation, prévoit pour les
"ci-devant".
L'acceptation
du ministre - de la Guerre Bouchotte est un éloge de la conduite de Davout et
lui laisse entendre qu'on aura besoin de lui quand les passions seront calmées.
Après être passé par Paris, il se retire à Ravières où il apprend
l'infidélité de sa femme pendant sa longue absence. Il obtiendra le divorce le
4 janvier 1794.
En
mars 1794, Madame Davout est arrêtée au château de Ravières, sous l'inculpation
de "complicité, de faux, de malversations et soustraction de biens
appartenant à la République". En réalité, elle avait acheté des biens
d'émigrés pour les leur conserver et, par des moyens évidemment délictueux,
leur en faisait parvenir les revenus. Les preuves existaient dans un secrétaire
sur lequel avaient été apposés les scellés. Davout voulut accompagner sa mère
en prison et, tandis qu'on les emmenait à Tonnerre, il eut connaissance de ces
faits.
Il va alors payer d'audace, s'enfuir de la prison dans la nuit, gagner Ravières et, fracturant le dos du secrétaire pour ne pas briser les scellés, retirer les papiers compromettants puis regagner la prison avant l'aube. Ils sont transférés à Auxerre, le procès s'y termine par un non-lieu, faute de preuve et grâce à une intervention vigoureuse de Maure devant le Tribunal.
Le 18 mai, il est de retour à Ravières. Il va connaître une longue inaction qu'il occupe, écrit-il à son ami Pille, en étudiant la théorie militaire, ne pouvant se livrer à sa pratique. Sans doute, fréquente-t-il aussi ses amis Maure, Gautherot et Forestier avec qui il peut discuter de l'évolution de la situation.